Auguste Rodin – Dessins et aquarelles

Profitant de l’exposition Rodin au Grand Palais (22 mars-31 juillet 2017), l’éditeur Hazan remet au goût du jour un livre de 2006 qui faisait défaut dans toute bibliothèque idéale : par son format et sa texture, couverture rigide, papier glacé, reliure de bonne qualité permettant une prise en mains ferme et une articulation des pages au plus près pour voir au mieux les grands dessins en double-page. On y plonge avec curiosité, on y demeure avec félicité…

J’ai dessiné toute ma vie, j’ai commencé toute ma vie en dessinant ; je n’ai jamais cessé de dessiner. Ce ne sont pas les 7000 dessins – et plus – qui vont le démentir. Rodin aurait sans doute dessiné en téléphonant, comme Kijno, s’il avait connu cet objet diabolique…

Obsédé par la forme juste, vibrante, précise, Rodin la scrute, la guette, l’épie, chasseur d’ombres et de mouvements, reprenant encore et encore le modèle nu qui lui fait face quand il ne dessine pas de mémoire. Oui, Rodin est avant tout un immense dessinateur, ce que le grand public ignore, tant l’image du sculpteur lui colle à la peau.

Des dessins noirs contemporains de La Porte de l’Enfer aux grands nus aquarellés, cet ouvrage offre un large panorama de son œuvre : 350 des plus beaux dessins de la collection du musée Rodin et des collections étrangères, dont de nombreux inédits. Un pur bonheur des yeux (qui s’accompagne d’un essai qui présente les différentes phases de sa recherche).
 

D’un érotisme débridé parfois, ce très beau livre donne à voir des planches qui seraient crues sans l’extrême légèreté qu’apporte la main de Rodin, cette touche vaporeuse qui estompe l’effroi des poses pour le moins explicites, jambes écartées, fesses en l’air, corps renversé et point de vue détaillé sur cette anatomie si fascinante, source de vie et de vive plaisir, source de tous les périls que l’Homme va traverser, coquillage à peine esquissé d’un paradis terrestre à savourer, et non à conquérir comme encore trop souvent des hordes de décérébrés le pensent…

Cet érotisme pose question aux historiens et commentateurs de l’œuvre de Rodin, or il s’avère qu’au-delà du plaisir visuel, son approche est aussi liée par une quête de perfection, une recherche sur des formes qui ouvriraient à des structures plastiques inédites. Rodin tourne autour de ce sexe féminin pour en débusquer les profils, contours, surface, masse, modelé, relief, forme et occupation de l’espace. Le sculpteur vit en lui : la représentation en trois dimensions l’obsède totalement !
L’érotisme qui se dégage de ces dessins est aussi le fruit d’une représentation indéfiniment répétée des caractères sexuels primaires (fentes, poils, lèvres...) et secondaires, dans la rondeur d’un sein ou d’une hanche, la suavité d’un bras ou d’une jambe. Rodin aime les femmes…

Si le sexe est montré, il est aussi géométriquement central, mire pour le regardeur, appui d’un compas pour le dessinateur afin d’organiser les formes qui en découlent. Un des dessins est assez frappant : une femme vue de derrière, penchée jusqu’au sol, tête sous le pubis, figure organisée comme un noyau donnant l’image d’une fleur de lotus.

 

La majesté de ces dessins provient sans conteste de cet élan que la main imprime sur le papier, geste qui renferme trois idées primordiales pour comprendre l’approche qui est celle de Rodin : un élan qui lui permet de contourner le problème de la représentation ; un dessin qui devient un instantané (cerner le contour) ; lequel servira de matrice et sera susceptible d’être repris, rehaussé par un lavis, corrigé, amplifié…

L’instantané est la réponse de Rodin au mensonge de la composition. Cette pratique lui impose de ne jamais quitter le modèle des yeux, à aucun moment il ne porte un regard sur la feuille sur laquelle sa main s’agite. Il utilisera par la suite divers procédé allant jusqu’au découpage pour repositionner sa figure, comme par exemple avec sa série d’Éros qui sert de matrice à une quinzaine de dessins de couples différents.
 

D’autres assemblages montrent l’intérêt de Rodin pour le relief : La Grande et la Petite sont conçues sur deux feuilles distinctes, découpées puis assemblées sur la même feuille. Certains modèles sont habillés d’une chemise plus ou moins retroussée, rehaussée de couleur, bleu, rouge, jaune, brun… Les plis des drapés, de plus en plus détaillés, transparaissent sous des lavis délicats – ce que Georges Didi-Huberman commenta de manière si poétique.

Alors, finalement, qu’est-ce que l’œuvre dessinée de Rodin ?
Que représente-t-elle ?
Que signifie-t-elle ?
Questions légitimes auxquelles il est très difficile de répondre sans sombrer dans le vertige des chiffres avec près de 9000 dessins (7000 étant conservés au musée Rodin de Paris) : dont 1000 dessins de jeunesse, plus 2000 croquis d’architecture. Impossible donc de tenter une approche ciblée sans verser dans une caricature de ce que Rilke considérait comme « le point extrême de son œuvre ». Au public de trouver son idéal, ses favoris et de jouir du spectacle intime qui se joue entre le regardeur et le dessin…

François Xavier

Antoinette Le Norman-Romain & Christina Buley-Uribe, Auguste Rodin – Dessins et aquarelles, 150x230, relié sous jaquette, 300 illustrations couleur, Hazan, coll. « Monographie », mars 2017, 480 p. – 27 euros

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