Paul Gauguin, dessinateur inspiré

Entre 1886 et 1894, Gauguin effectue cinq séjours à Pont-Aven. Au total, trente-quatre mois de présence au cours desquels il révolutionne la peinture. Sa stature, son expérience, son indépendance d’esprit font de lui un maître pour les jeunes artistes qui viennent en Bretagne à la recherche de nouveaux sujets et en quête d’une nature encore préservée. Gauguin pendant cette période se révèle un grand dessinateur, saisissant en quelques traits et en jeux d’ombres et de couleurs des attitudes, des visages, des costumes qui signent ce caractère breton qui a retenu son attention.

À la mine de plomb, au pastel, à l’aquarelle, au fusain, à la pierre noire, Gauguin multiplie les croquis et les esquisses, remplit des carnets dont les exemples fournis dans les pages de ce bel  ouvrage apportent la preuve de l’excellence.  À cette réalité, Gauguin donne à la fois une humanité de surcroît, une légèreté, une vérité prouvant qu’il observe, note, transcrit avec un souci de précision et une liberté d’interprétation. Les petits bretons, les paysans, les femmes en coiffe, les animaux, rien qui ne retienne son désir de fixer les gens et le décor, de comprendre de l’intérieur l’existence, sous ses aspects les plus simples, de cette région. Ses modèles, il les prend dans la tradition locale qui devient une sorte de réserve inépuisable, de sources auxquelles il redonne, de façon souvent arbitraire, une seconde réalité.
Dans la Ronde des petites bretonnes, huile sur toile de 1888, il  installe ses trois figures entreprenant une gavotte sur le fond d’un grand champ jaune, ce qui donne à la composition un rythme affirmé. Auparavant, il a étudié les poses et les costumes sur des feuilles, ce qui lui permet de traiter ce moment avec cette faculté qu’il a de ne dire que l’essentiel.
 

Dans chaque dessin, on sent le passage rapide de la main qui obéit à l’œil attentif, travail incessant qui aboutit à des instantanés de vie. "L’acte spontané du dessin est pour lui concomitant d’une méditation devant le spectacle de la nature", écrit l’auteur dans ce livre qui sort opportunément puisque vient en effet de s’ouvrir au Grand Palais, à Paris, une vaste et superbe exposition sur Gauguin, présenté comme un alchimiste, mot qui signifie entre autres combien cet homme a été à même de transmuer en or pour les yeux le métal des événements quotidiens.
"Puis le travail de mémoire et la simplification des lignes et des plans colorés conduisent à des œuvres qui semblent éloignées de la réalité tangible", poursuit André Cariou, historien d’art spécialisé dans l’œuvre de Gauguin, qui a notamment publié voici deux ans chez ce même éditeur un remarquable Paul Gauguin et l’école de Pont-Aven.

Pour un de ses tableaux les plus célèbres, dont la conception emprunte aux cadrages de l’estampe japonaise, avec son langage "radical et novateur", ses contrastes de couleur et de tailles saisissants, possédant en plus une charge symbolique forte, La Vision du sermon, huile sur toile de 1888, il effectue deux croquis.  
L’un a été exécuté sur une feuille de papier quadrillé, l’autre apparaît dans une lettre à Vincent Van Gogh, datant sans doute du 26 septembre 1888. Esquisses rapides, sans détails, mais qui mettent bien en place l’essentiel du discours pictural à venir : coiffes au premier plan, arbre incliné, l’ange et Jacob luttant au fond.
À ce propos, Gauguin dans cette lettre décrit à son ami Vincent l’action elle-même du tableau "religieux très mal fait mais qui m’a intéressé à faire et qui me plaît…les bonnets blanc jaune très lumineux…comme des casques monstrueux…un pommier traverse la toile violet sombre…le terrain vermillon pur".
On retrouve cette même démarche avec l’étude pour Le Christ jaune.
 

Gauguin le 4 avril 1891, embarque à Marseille et se rend à Tahiti.
"Il prévoit de demeurer deux ou trois ans en Océanie et d’accumuler des études qui lui serviront pour des toiles à son retour." Effectivement, en les voyant, on se remémore la période bretonne. Il travaille d’après modèle et au dessin il ajoute la couleur.

Achille Delaroche, proche de Mallarmé, note dans les toiles du peintre "la corrélation intime du thème et de la forme" mais rappelle que si la couleur "qui est vibration" prend toute sa vérité, le dessin a été au départ le moteur de sa puissance. Les très belles Têtes de Tahitiennes, au fusain partiellement estompé sur papier, de 1891-1892, conduisent à ces visages merveilleusement exotiques qu’il exécutera ensuite à l’huile.
La Bretagne, terre d’initiation pour lui, "resurgit plus étonnamment au cœur des œuvres océaniennes", écrit André Cariou à la fin de ces pages bien illustrées et qui font découvrir un aspect souvent négligé de l’artiste. 

 

Dominique Vergnon

 

André Cariou, Dessins de Gauguin, la Bretagne à l’œuvre, 310x260, 120 illustrations, Hazan, octobre 2017, 140 p.-, 35 euros.  

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