Doisneau, pleinement poétique

Il n’y a pas de grands ou de petits photographes, quoique l’on aime tant catégoriser, il y a les photographies qui réveillent une émotion, suscitent une réaction, provoquent un désir ; et tout le reste qui peut au mieux figurer dans la case du reportage, mais qui n’est en rien lié à une approche artistique.
Longtemps Robert Doisneau (1912-1994) fut classé dans la catégorie des reporters au petit bonheur la chance à cause de son inlassable curiosité, celle-là même qui lui valut sa notoriété grâce, justement, à cet œil inquisiteur qui se jouait des mouvements et savait saisir l’instant crucial où tout se jouait, où la poésie s’invitait dans le quotidien évanescent du quidam le transformant alors en personnage central d’une œuvre si particulière que l’on reconnaît entre mille un cliché de Doisneau !
Et combien sont nombreuses les photographies à découvrir dans ce prestigieux album aux près de sept cents pages à la tranche argentée, car il n’y a pas que le célèbre Baiser de l’Hôtel de ville, il y a aussi celui de la place du marché Saint Honoré (1950) sur un triporteur, avec cette magie du noir & blanc opère à chaque fois, que ce soit dans les jeux d’ombre (qui ne sont pas sans rappeler un certain Lartigue) ou les situations parfois cocasses saisies au vol, Doisneau chapardeur malicieux d’intimités dévoilées…
Sans oublier sa série de portraits : Léger, Sagan, Colette, Braque ou Giacometti voire Tinguely enveloppé dans la fumée de son extraordinaire sculpture-machine.
En déroulant toutes ces pages le lecteur pénètre dans la mémoire d’un homme qui n’aura eu de cesse de saisir les clins d’œil du destin, et l’on retrouve avec gourmandise le timide minois de Mademoiselle Anita mais aussi le mouvement : Doisneau était fasciné par tout ce qui bouge, ce qui vit. Tout ce qui lui rappelle un peu de son enfance à Gentilly (Val-de-Marne) quand, avec le gros Marcel et Jean-François, le jeune Robert imaginait des rêves de famille.
Album photo érigé en roman-fleuve, plein de gaité et d’effroi, de surprises et de poésie, miroir d’un temps définitivement révolu, d’un monde disparu ; roman-photo des jours heureux de toute une génération immortalisée sur papier glacé et transformée, par la grâce de Robert Doisneau, en kaléidoscope miraculeusement réassemblé du genre humain en remplacement du miroir aux alouettes trop souvent exhibé pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Au temps béni de l’image analogique et de la photo argentique un soupçon d’authenticité demeure ici, on respire une certaine vérité, on transpire une nostalgie pour celles et ceux qui ont connu l’époque ; voyage extratemporel dans l’histoire des Hommes…
Quand la force de l’image se suffit à elle-même, raison de plus pour laisser de côté le texte déroutant de Brigitte Ollier que les années passées à Libération auront définitivement détourné de l’art d’écrire lisiblement.
François Xavier
Brigitte Ollier, Doisneau, Hazan, octobre 2017, 672 p. – 39 €
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