L’Orient, un monde où tous les regards se rencontrent

"La chronique vivante et colorée des épisodes de la question d’Orient constitue la trame d’un mouvement qui ne serait, sans elle, que le prolongement d’un goût séculaire de l’ailleurs." Le cadre est défini dès le début par l’auteur. Le constat est posé, l’orientalisme a partie liée avec l’histoire, le mouvement si riche dans ses diversités esthétiques s’enracine dans les "sollicitations renouvelées" des faits. Ainsi, la guerre alternant avec la paix en Egypte, les tensions qui s’avivent en Grèce, la prise d’Alger, tous les épisodes qui construisent la chronique des confrontations humaines et les lieux où elles se déroulent sont pour les peintres autant de motifs d’inspiration que de thèmes à traduire en images.

On connaît le rôle des artistes qui accompagnèrent Bonaparte dans son expédition méditerranéenne. Dès le début de cet imposant et dense volume, aussi abondant en illustrations nouvelles qu’en informations inédites, l’étude de Dominique Vivant Denon Le Barbier égyptien (crayon et encre grise, lavis brun et gris de 1799-1802) donne en quelque sorte le ton.
Un peu moins d’un siècle plus tard, un tableau portant un titre non moins évocateur, Le Barbier de Suez, peinture à l’huile de Léon Bonnat, montre le chemin parcouru en termes non seulement de facture mais aussi de style, de considérations réalistes de la vie locale, de compréhension plus ou moins exacte des coutumes africaines de la part des artistes occidentaux.

 

On voit ensuite que « l’exotisme prend donc rapidement en France un tour officiel et grandiose qui n’existe pas ailleurs », écrit Christine Peltre. Les artistes et les écrivains deviennent des témoins des événements, leur donnent un retentissement que sans eux ils n’auraient sans doute pas à cette échelle. Cet Orient vu par l’Occident est au croisement d’innombrables facteurs. C’est un regard qui se pose sur un « monde lointain, exaltant l’étrange et l’extraordinaire », une manière de ranimer les styles et les perspectives, un retour aux origines, une approche en somme résolument neuve, le renvoi aux sources vers « notre berceau cosmogonique et intellectuel » dira Nerval. En même temps qu’un désir de connaître l’espace magique pour reprendre les mots de Maxime Du Camp.

 

Une phrase prononcée par Bonaparte introduit le second chapitre intitulé L’Orient des romantiques : "Les grands noms ne se font qu’en Orient."
Peut-être à ce moment-là de son parcours de conquérant ne pensait-il pas aux artistes sinon à lui comme gage pour la postérité. En tous cas, pour les peintres, rien ne semble plus vrai, l’Orient a contribué à leur carrière, Gros étant une des exceptions les plus évidentes puisqu’il n’alla pas en Egypte ni en Syrie mais sut rendre cependant magnifiquement les étapes de la conquête, avec par exemple Les Pestiférés de Jaffa, tableau au pinceau héroïque, plein de couleurs et de force.

Pensons seulement à Delacroix, au pinceau le plus éloquent de tous, à Fromentin qui sera présent en 1869 à l’inauguration du canal de Suez, à Jean-Léon Gérôme (1824-1904) dont "la familiarité" avec l’Orient fut réelle, à l’Anglais John Frederick Lewis qui vécut dix ans en Égypte ou encore à Horace Vernet qui accompagna les troupes françaises en Algérie.
L’Orient, la société orientale, les paysages, constituèrent une sorte de révélation de leur talent et d’un regard ethnographique.  Sans parler de tous les peintres plus ou moins connus que ce livre fait connaître, comme Gustave Guillaumet, Félix Auguste Clément, Charles Bargue, Léon Belly et tant d’autres dont les œuvres apportent un enrichissement ample et renouvelé sur les réalités de cet univers au sens propre pluriculturel.

Cette fièvre dont parle Christine Peltre, agrégée de lettres classiques, professeur d’Histoire de l’art, spécialiste de l'orientalisme, va se prolonger non seulement jusqu’à la fin du XIXème siècle, avec des maîtres un peu oubliés comme Etienne Dinet et Albert Lebourg, mais aussi jusqu’au XXème siècle, avec des noms célèbres, tel Renoir qui se rend deux fois en Algérie qui a retenu de Delacroix "la leçon coloriste." Viennent les nouvelles générations portant un regard inédit, moderne, montrant un "orientalisme contemporain", Albert Marquet, Charles Camoin, Jean Dubuffet déjà marquant une rupture avec tout ce qui a été exécuté auparavant. Aurait pu être cité un peintre certes très peu connu, peintre officiel de la marine, qui représenta quelques scènes vivantes de l’Afrique du nord et que Paul Valéry surnommait "l’amiral des peintres et le peintre des amiraux", Jean-Louis Paguenaud, mort en 1952.

 

Apparaissent enfin les constructeurs d’une autre histoire, Picasso (Femmes d’Alger, d’après Delacroix, 1955), Nicolas de Staël, Paul Klee. Le lecteur sera largement intéressé et surpris par ces derniers regards offerts par Sadi Ghadirian ou Lalla Essaydi (La Sultane, épreuve chromogène marouflée sur aluminium de 2008). Des pages qui sont un long et beau voyage interrogeant toutes ces "expressions visuelles de l’orientalisme".     

 






Dominique Vergnon

Christine Peltre, Les Orientalistes, 26x29 cm, 250 illustrations, Hazan, mars 2018, 336 pages 45 euros.

 

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