Cassandre, le surdoué

Si Roman Cieslewicz est souvent intronisé comme le pape de l’affiche, il y a aussi un autre immense inventeur et concepteur de ces « tableaux promotionnels », c’est Cassandre (1901-1968) qui nous a laissé, entre autres trouvailles, le fameux Dub, Dubon, Dubonnet et le logo d’Yves Saint Laurent !
Publiée à l’occasion du cinquantenaire de sa mort, cette édition de luxe est la première grande monographie consacrée au plus important affichiste français de la première moitié du XXe siècle… dont l’auteur a pu consulter, non seulement les archives familiales mais aussi les correspondances avec les amis proches et les collaborateurs, ce qui rend son texte vivant et fort agréable à lire – ce qui est rarement le cas dans ce type d’ouvrage…

Adolphe Marie Mouron décide très jeune d’être peintre, et se choisit comme nom d’artiste Cassandre – dont on ne saura jamais l’origine, est-ce un pied-de-nez au destin ou un contrepied aux prédictions pessimistes de sa famille quant à son devenir en tant qu’artiste ? une expression du syndrome ? – allant jusqu’à refuser un cursus linéaire. On est un génie ou on ne l’est pas ! Donc ce sera l’académie Julian mais pas que : architecture en parallèle, étude de la typographie et du nombre d’or, assimilation de l’œuvre de Vitruve, lecture attentive de Le Corbusier, etc.
Vingt ans à peine et déjà une grande maturité qui le pousse à voler de ses propres ailes : il dessine des affiches pour gagner sa vie, se passionne pour ce médium et comprend très vite qu’il y a tout à inventer. Son esprit vif de théoricien à la pensée originale va le pousser à innover, aidé par ses mains magiques qui exécutent tout ce qu’il leur demande. Et naît alors ce fameux tracé régulateur et l’arrondi de la lettre qui feront sa renommée…
 

Poète, Cassandre va transfigurer l’affiche, de l’Etoile du Nord (invitation au voyage) à L’Intransigeant (allégorie moderniste de la presse), l’approche symbolique atténue l’illustration froide pour emporter le regardeur vers un monde autre, jouant avec la perspective, les points de fuite, les concepts cinématographiques (plongée, contre-plongée), les jeux d’échelle, les fausses perspectives, etc.
Cassandre impose alors une autre dimension dans le monde feutré de l’affiche, il révolutionne l’approche en étant totalement hors-concours : personne ne peut rivaliser avec lui… C’est d’ailleurs lui qui invente le Bifur pour que la typographie se modernise.

Jeune homme solitaire au fort caractère, Cassandre finira par délaisser la publicité pour peindre après l’échec de son projet de révolutionner la typographie en inventant une police faite de petites capitales romaines. Il réalise alors des décors de théâtre et d’opéra, mais son caractère est de plus en plus brumeux. Seuls quelques amis proches ont grâce à ses yeux – Balthus, Pierre Jean Jouve et Pierre Reverdy – mais il continue à innover : au théâtre il met au point un procédé d’incroyables perspectives en systématisant les jeux d’échelle, si bien que l’acteur se voit doter d’une surproportion et le fait évoluer dans un décor plus petit que ne le voudrait la vraisemblance. Le public s’enthousiasme…
Mais sa haine viscérale du XIXe siècle le poursuit et il se met à dos la critique en voulant repenser les décors et les costumes pour une pièce de Racine donnée à la Comédie-Française…
Il se réfugie dans la peinture mais n’exposera qu’une seule fois, en 1942 à la galerie Drouin des paysages et des portraits sinistres qui copient trop les surréalistes, ce qui ne trompe personne. C’est un échec logique et l'on ne comprit pas plus la pauvreté chromique des tableaux présentés.
Retour à la typographie : pendant cinq ans, malgré une santé fragile, Cassandre va s’évertuer à créer une police à petites capitales, ce qu’aucun fondeur ne veut, ni le public d’ailleurs…
 



En se choisissant comme nom d’artiste Cassandre, le jeune Adolphe Marie avait peut-être l’intuition que son parcours allait se confronter à des obstacles parfois infranchissables, qu’il y aurait plus d’échecs que de succès ; mais ce ne fut pas une raison de ne pas relever le défi !
Cet ouvrage d’une très grande qualité fait la part belle à la mise en page qui met en lumière la qualité des clichés de ces formidables dessins qui devinrent des affiches inscrites aussi bien dans l’inconscient collectif quand dans l’Histoire de l’art…

François Xavier

Alain Weill, Cassandre, 300 illustrations, édition de luxe sous coffret, 260 x 310, Hazan, octobre 2018, 280 p. -, 99 €

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