Voir, lire, rire et écouter Montmartre

Le périmètre officiel est précis, il est fixé par l’administration.
Quelques boulevards et des rues dont les noms sont sérieux, Clichy, La Chapelle, Aubervilliers, Ney. L’autre contour l’est moins, il déborde le premier, il fluctue, il n’a pas vraiment de frontières, comme si l’esprit de la Butte, en redescendant, élargissait ses influences.
Ce périmètre s’agrandit, il gagne en notoriété, il s’assimile à une certaine propagation de l’esprit parisien et se répand en France. Plus loin, au-delà de ce lieu, il y a son rayonnement qui a séduit deux Américains aimant l’histoire européenne, la culture française et les images qui s’y rapportent. Ils ont uni leurs passions pour constituer une collection d’un bel intérêt, alliant des œuvres signées de noms célèbres comme Toulouse-Lautrec, Bonnard, Rouault, Suzanne Valadon, Degas, autant que d’artistes à tort considérés comme secondaires et qui méritent d’être admis dans leurs rangs, pour l’originalité de leurs compositions. Ce sont Joseph Faverot, Armand Rassenfosse,  Maxime Dethomas. On découvre leurs talents au fil des pages et des accrochages.

Les quelques 200 pièces présentées dans cet ouvrage sont celles qui sont également visibles actuellement au musée de Montmartre, un de ces endroits où se concentrent les ingrédients propres à donner de Montmartre une image la plus authentique possible. L’histoire d’une époque qui ne vieillit pas et les acteurs d’un temps que l’on n’oublie pas s’y retrouvent. Le génie montmartrois et les muses qui inspirent les créateurs d’affiches, de chansons, de tableaux, de journaux humoristiques se tiennent toujours dans les coulisses de ce théâtre d’ombres et de lumières qui s’animent à la nuit tombée.

Une scène de chansons et de vie nocturne, quand électrique, excentrique et éclectique riment et s’accordent l’espace d’une lecture, d’une soirée et d’une visite.

Des créateurs entreprenants, indépendants et agiles, des observateurs aux regards affutés postés dans les cirques, les cabarets, les cafés-concerts, des peintres doués de causticité, de célérité, de perspicacité ont créé les symboles locaux qui perdurent et sont aussitôt identifiés.
Un parmi d’autres, ce chat noir qui griffe la lune, miaule, se laisse caresser par les seuls habitués. Dans les salles du musée,  c’est une ambiance de fête qui s’apprécie, une tonalité de volupté, un rythme de désir, celui de rester un peu en marge de la bonne société qui demeure en contrebas mais qui ne dédaigne pas monter pour "s’encanailler" avec les noctambules authentiques. On est dans un royaume qui ne porte pas le vrai nom, mais où règne un art particulier, où gouverne un style sans équivalent ailleurs, où c’est l’empire des manières sui generis. 

Admirer les tableaux, ceux de George Bottini, Louis Anquetin et de Louis Valtat, lire la presse illustrée par Félix Vallotton (Le Rire du 1er décembre 1894), entendre les chansons réalistes dont Aristide Bruant est l’inventeur, avec cet accent inimitable et les mots d’argot qui ne s’inventent pas, c’est toute une épopée de costumes et de coutumes, de personnages inouïs qui viennent danser, consommer, s’amuser, jouer, fantasmer. « J’ai passé un très bon moment récemment au Chat noir. Nous avons organisé un orchestre et fait danser les gens. C’était très amusant, mais nous ne sommes couchés qu’à cinq heures du matin, ce qui a un peu nui à mon travail ce matin-là ». L’auteur de ces mots révélateurs ? Henri de Toulouse-Lautrec, en juillet 1886. Un livre et une exposition qui permettent de retrouver cette ambiance. 

Dominique Vergnon

Philip Dennis Cate, Saskia Ooms, Collection Weisman & Michel, Fin de siècle - Belle Époque (1880-1916), 197 illustrations, 190 x 265, Hazan, octobre 2019, 224 p.-, 24,95 €

Exposition au museedemontmartre.fr/ jusqu'au 19 janvier 2020

 

 

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