Otto Freundlich, approfondir les réalités invisibles

Voir l’œuvre de cet artiste dont la vie a été frappée par un destin acharné à en détruire la grandeur, c’est suivre un itinéraire où l’esprit se relie à la matière. Persécuté, dénoncé, interné, traqué, déporté, assassiné, parce que Juif !
Otto Freundlich (1878-1943) se range parmi les créateurs qui sacrifient leurs vies pour faire triompher leur message. Utopistes, peut-être, mais comme finalement ils apparaissent avec le recul du temps des pionniers au plus près de la réalité.

Une réalité qu’ils transposent et transfigurent. L’abstraction offre ce genre d’ouverture, dès lors qu’elle n’est pas une recherche affectée, une mode, un profit. C’est par leur sincérité et leur engagement que Kandinsky, Mondrian, Malevitcwz, Paul Klee entre autres, laissent un héritage authentique. Pour Freundlich, l’abstraction n’était pas une auto-réflexion sur le medium. Elle était le miroir des processus complexes de la nature et de la société. L’art était, à ses yeux, en avance sur le temps.

Sans aucun doute possible, nouveau facteur déclencheur de l’œuvre qui s’enchaîne aux sources premières puisées en Allemagne, à Berlin, à Munich, à Florence, Paris et le Bateau-Lavoir deviennent le creuset de sa trajectoire humaine et artistique. Comme si Freundlich pressentait qu’il y aurait là une nouvelle source pour sa carrière et son existence.
Je me dirigeais vers cette ville de Paris qui pour nous autres, artistes de l’Europe Centrale, demeurait avant tout la patrie de Rodin, de Manet, de Monet, de Cézanne et des impressionnistes. De mars à juillet 1908 puis en mai 1909, il séjourne dans ce lieu où se croisent les idées de quelques-uns des maîtres de cet aurore de la peinture moderne, Picasso, Braque, Herbin, Delaunay. Deux ans plus tard, il s’établit rue des Abbesses. La voie de l’abstraction est prise, comme le montrent deux œuvres datant de cette année 1911, Composition avec figure (huile sur toile) et Tête (aquarelle et encre sur papier). La fascinante Tête (Autoportrait) aux couleurs vives, les aplats délimitant leurs contrastes puissants est d’une certaine manière annoncée dans la précédente. En traits plus accusés, en tonalités plus tranchées.

Période de révélation, les quelques mois passés à Chartres lui permettent de construire un nouveau vocabulaire de formes et de couleurs qui va également être source de compositions où, comme dans le vitrail, les éclats de lumière prennent une force ascensionnelle, acquiert une énergie pour ainsi dire vitale. « La décomposition est plus mystérieuse que la composition » note-t-il.

Des éléments rouges en bas à gauche aux surfaces ocres et bleutées en haut à droite, des cellules sombres en bas à droite aux carrés inégaux en haut à gauche, les agencements calculés entraînent le regard à voir dans la circulation des couleurs comme une sorte de tourbillon général, qui sera repris dans LŒil cosmique, de 1921-1922, véritable cyclone de tonalités pures qui rayonne depuis son centre. Le rythme de ce qui semble n’être qu’une géométrie du hasard a une dynamique propre qui dépasse l’espace même de l’œuvre et lui donne un sens spiritualisé.
Nous nous trouvons toujours devant le tableau mais nous sommes toujours dans la nature. Il nous faut toujours faire un pont entre nous et le tableau mais le pont entre nous et la nature est fait par notre existence, écrit Freundlich en 1938. Un texte qui éclaire son cheminement créatif.  

La Rosace II de 1941 renvoie à ces rosaces du XIIIème siècle de la cathédrale qui domine de loin la plaine de Beauce. Cette union des couleurs et des formes n’est-elle pas la voie d’une réconciliation entre les hommes et la nature, un idéal pour Otto Freundlich ? Ces juxtapositions peu à peu se fondent, se prolongent, pour créer une communion universelle, faisant triompher l’esprit de la matière. Après les camps en France, la logique de l’extermination le conduit dans un camp nazi. Mais l’esprit triomphe de la matière.
Conçu par Freundlich, Le Phare des sept arts est à voir comme une totalité de la pensée de son auteur, l’unité des arts et des artistes. La maquette en plâtre de cette vigie de l’idéal clôt le parcours d’une exposition qui, réunissant près de 80 œuvres, non seulement des peintures, des sculptures et des œuvres graphiques, mais aussi des vitraux et des documents historiques, constitue une première depuis bientôt cinquante ans.

Un parcours qui est l’illustration de sa vocation absolue d’artiste.
 

Dominique Vergnon

 

Saskia Ooms, Christophe Duvivier et al. Otto Freundlich, la révélation de l’abstraction, 100 illustrations, 265 x 190, Hazan-Musée de Montmartre Jardins Renoir, février 2020, 162 p.-, 19,95 €

www.museedemontmartre.fr

 

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