Energie et esthétique végétales

Dès la première page, Clélia Nau nous introduit auprès de cette discrète majesté jamais assez admirée de la nature qu’est le feuillage et nous dévoile les puissances et les multiples visages de ce flot vert.
Les promesses annoncées sont magistralement tenues et la suite de l’ouvrage est un épanouissement de l’élan vital initial, établissant des rapprochements inédits, des correspondances heureuses et des comparaisons originales entre le végétal pris au sens le plus large et trois arts majeurs, la peinture, la photographie et le cinéma.
Lecture séduisante, exigeante toutefois en raison des nombreux termes utilisés spécifiques au domaine de la botanique, de la dendrologie, de la science des espèces ligneuses qu’il convient de connaître pour suivre le fil d’un texte au style ample avec cependant des expressions affectées qui alourdissent son cours.

Après l’enracinement pour comprendre les enjeux du propos, c’est une merveilleuse et progressive éclosion de ce que peut représenter le végétal pour les artistes de tous les siècles qui se déploie. Densité lumineuse du Printemps de Botticelli, savants rinceaux d’acanthes conçus par Schongauer, nuages vaporeux derrière la canopée de Constable, remous floraux chez Monet, délicates études de Ruskin, bruissements dorés pour Watteau, superbes et vivantes cascades émeraudes de feuilles vues par Poussin, irradiance dans les clairières signées Corot, jeux d’ombres fixés par Eugène Atget sur une épreuve argentique, essaim fébrile de taches colorées offertes par Klimt (Le Parc, 1910), mouvance des tiges de bambou qui fascine Yasujirō Ozu, dynamique des pétales voulue par Matisse, spiritualité du tissu enfeuillagé de La Vierge à l’Enfant couronné par deux anges de1480, la narration sans cesse sollicite la curiosité et s’appuie sur des illustrations qui réjouissent le regard.
Ainsi de ce merveilleux tableau, peu connu d’Altdorfer, qui avait le même prénom que Dürer et est pratiquement son contemporain,  Saint Georges et le dragon, petit panneau en bois de tilleul datant de 1510, où le feuillage est rendu avec un fini et un piqué proprement vertigineux, tel un frissonnement minutieux, total, exécuté jusque dans ses moindres nuances et ses dernières délicatesses. Il renvoie au feuillage d’un marronnier que décrit Proust dans Du côté de chez Swann, quand toutes les notes de ce bruissement de feuilles pourtant exécuté en pianissimo se détachent avec une incroyable netteté

Au tour de Claude Lorrain de nous faire rêver, lorsqu’en 1660-1665, à la pierre noire et lavis gris, il dessine dissimulée avec habileté dans la composition une tête disproportionnée comparée aux petits danseurs qui s’agitent au pied du gigantesque fût. Voici encore des images du film Parallèle Nord, de Félix Dufour-Laperrière, un réalisateur québécois, qui cadre en contre-plongée des masses d’arbres mises en miroir avec un étrange dessin à la plume, encre brune et lavis sur papier de 1843 de Victor Hugo, L’Ombre du mancenillier, arbre toxique sinon mortel d’Amérique qui l’inspirera pour "Les Contemplations".

C’était l’heure de la sieste. Il était midi, le soleil en plein triomphe resplendissait ! La plaine immense et nue avait l’haleine d’une bouche de four. Il cherchait un arbre à l’ombre duquel il pût se reposer. Il rencontra un mancenillier…

Peu connu, presqu’oublié, Francis Wey, né à Besançon en 1812, dont Nadar réalisa le portrait sur papier salé en 1855, ami et soutien de Courbet dès les débuts du peintre, avait évoqué la féérie de l’atmosphère. C’est bien de cela qu’il s’agit dans ce livre, d’une véritable célébration de la verticalité, des germinations qui poussent l’énergie de la sève vers les sommets, de la lumière qui nourrit et attire vers l’espace ces feuillages frémissants, de l’air qui partout circule comme le voulait Leon Battista Alberti dans son Traité sur le peinture de 1435, des mouvements mêmes de l’arbre, l’un des plus grands ornements du paysage selon Roger de Piles, qui fut peintre et graveur et aussi théoricien de l’art.  
De page en page, de thème en thème, Clélia Nau avance, explore, recherche, progresse par arborescences, ajoute aux ramures précédentes afin de créer une magnifique frondaison.  

Dominique Vergnon

Clélia Nau, Feuillages, l’art et les puissances du végétal, 150 illustrations, 260 x 310 mm, Hazan, octobre 2021, 280 p.-, 99 €

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