Soutine & Kooning dans l’incarnation de la peinture

Quel plaisir de retrouver ces exceptionnelles toiles de Soutine interprétant Céret et les villages provençaux ployant sous le mistral, découvertes une première fois, au musée de l’Orangerie en 2013, mais scandaleusement trahies par un catalogue indigne aux représentations minimalistes de basse qualité, alors qu’ici l’œil se pâme face aux illustrations remarquablement reproduites, allant jusqu’à montrer la trame de la toile vierge, comme dans Vue de Céret, en haut à droite (p. 130)…
Ce sont, pour moi, ces tableaux qui devraient être la marque de Soutine, et non ses pièces de viande, même si elles dénotent et transgressent, mais l’art, la peinture, ne sont pas uniquement le medium d’un acte mais aussi le fruit d’une émotion, d’un partage entre la vision d’un homme et son interprétation associées à l’accueil du regardeur, emporté comme l’esquille d’une branche dans le ballet du vent, redessinant à sa guise le décor pour nous en magnifier la beauté absolue.  

Il fallait oser rapprocher ainsi Chaïm Soutine (1893-1943) et Willem de Kooning (1904-1997), deux univers – et deux écoles – si différents, deux peintres au caractère bien trempé et aux époques dissemblables. Il n’y aura donc pas de jeu de miroir comme l’on peut le faire avec les toiles cubistes de Picasso et Braque, par exemple ; mais le dialogue posthume – ils ne se sont jamais rencontrés de leur vivant – peut s’ouvrir sur l’idée d’une parenté. Kooning s’impliquant dans une peinture expressive, largement abandonnée par ses pairs depuis la mort de Soutine, voire ignorée car trop déséquilibrée… L’informe panique encore certains marchands, sans parler du public qui pousse de grands cris d’orfraie. Car nos deux peintres osent célébrer la couleur, en faire le maître d’ordre du schéma représentatif qu’ils vont décliner sur leurs tableaux respectifs, transformant ainsi la matière en sujet vivant, organique. 
Cette association symbolise donc un geste commun pour associer la figure et l’informe, le passé et la réception du présent dans un concert contemporain.   

 Willem de Kooning a toujours admiré Soutine, ressentant face à ses toiles un rayonnement qui provenaient de l’intérieur des peinturesc’était une autre lumière. Partant de ce constat, il ira – comme Soutine – chercher dans le passé les sources multiples d’inspiration : Vélasquez, Rembrandt notamment… chez qui ils appréciaient la picturalité et cette technique basée sur des coups de pinceau dynamiques et viscéraux, parfois chargés d’une peinture épaisse et empâtée – osant imiter cette approche dans leurs propres travaux en donnant cette matière picturale à leurs formes et leurs figures. Les deux hommes ont également exprimé une fascination commune pour le grotesque à l’œuvre dans certaines images de leurs prédécesseurs, introduisant dans leur peinture des éléments de distorsion et d’exagération qui en renforcent l’impact visuel. 

© "La colline à Céret", Chaïm Soutine (1893-1943) Digital Image 2012 (c) Art Resource, New York Scala, Florence ©Los Angeles (CA), LACMA Digital Image Museum Associates/LACMA/Art Resource NY/Scala, Florence / Digital Image

 

À découvrir au musée de l’Orangerie jusqu’au 10 janvier 2022 

François Xavier

Claire Bernardi (sous la direction de), Soutine / De Kooning : la peinture incarnée, 246 x 310, relié sous jaquette à rabat, 130 illustrations, Hazan, septembre 2021, 256 p.-, 40 € 

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.