La Grèce et la France : une longue entente

Pendant près de 250 ans, entre la Grèce et la France, les échanges sont nombreux, incessants,  de tous ordres, politique, culturel, artistique, scientifique, archéologique, forgeant les bases de ce que Jean-Luc Martinez, un des commissaires de cette exposition, appelle l’identité culturelle européenne. Les pièces présentées, sculptures, photos, moulages, tableaux, dessins, poteries, bijoux, costumes et objets souvent rares comme des éventails évoquant le philhellénisme, ce mouvement réunissant entre autres pays la France, l’Angleterre et la Russie, d’une centaine d’années environ, qui apporta son soutien aux Grecs dans leur lutte d’indépendance de la tutelle turque, témoignent de cette relation et sont reprises dans cet ouvrage très illustré accompagnant la présentation du Louvre, impressionnante par la quantité et la qualité des œuvres présentées, au nombre de 360.

 

Développant les quatre thèmes majeurs qui orientent et structurent le parcours, le texte auquel ont contribué de nombreux spécialistes tant grecs que français, relate avec une richesse de références souvent rares comment d’un côté, partant des Croisés et des envois de diplomates, tel le marquis de Nointel arrivé à Athènes en 1673, jusqu’aux missions, celles des généraux Vosseur en 1884 et Eydoux en 1911 et aux campagnes de fouilles à Thasos, Délos et plus tard à Delphes, la France  a contribué à l’éveil, la reconnaissance, la constitution et la croissance de la nation grecque.
De l’autre, comment la Grèce, longtemps occupée par l’empire ottoman et imprégnée de ses règlements, ses prescriptions sociales, sa religion (le Parthénon, qui sera détruit au cours de la guerre de Morée par les Vénitiens a été transformé en mosquée) mais porteuse aussi en contrepoids des influences byzantines et de ses racines orthodoxes, a apporté à la France les splendeurs de sa civilisation antique comme en attestent les marbres réunis pour l’occasion dont l’esthétique obéit aux canons – le mot vient de kanôn désignant en grec ancien un instrument de mesure rectiligne et ainsi un modèle – édictés par Polyclète.

Une date essentielle est au centre de ces relations, unissant entre eux deux événements pourtant éloignés, 1821. D’abord, elle marque le début de la guerre d’indépendance vis-à-vis des Turcs et de l’insurrection qui se terminera en 1830 et s’intègre ce qu’on appelle plus largement la question d’Orient. En 1826, une exposition au profit des Grecs est organisée à Paris.
Les écrivains et les artistes français s’engagent pour la cause hellène, avec au premier rang d’entre eux, Delacroix dont un célèbre tableau allégorique de 1826 illustre cette volonté de libération, La Grèce sur les ruines de Missolonghi, ville à la position stratégique près du golfe de Corinthe dont le siège entraîna la mort de Byron. Deux ans auparavant, le peintre avait exécuté une autre toile émouvante, Scènes des massacres de Scio. Athènes était proclamée capitale en 1834.

Second événement, d’une importance majeure au plan artistique, l’entrée de la Vénus de Milo au Louvre. Chef d’œuvre de l’époque hellénistique, en marbre ocré, haute de 2 m, séduisante par la douceur de ses lignes et la grâce de ses volumes, découverte en 1820 sur l’île de Milos,  située dans l’archipel des Cyclades, elle est acquise par l’ambassadeur de France qui réside alors à Constantinople, puis offerte à Louis XVIII qui la remet au Louvre.

 

Un aspect intéressant, très méconnu, de ces relations et mis en relief dans cette exposition est le rôle joué par les moulages, qui vont servir à diffuser partout l’art grec, la jeune nation voulant protéger son patrimoine et assurer un contrôle strict sur les exportations de ses œuvres d’art voire les interdire. Des sculpteurs comme Rodin, collectionneur passionné des fragments antiques, Bourdelle admirateur de la beauté grecque et qui en renouvela la dynamique, Brancusi, Giacometti, Arp saluant leur beauté, s’inspireront des modèles grecs. Lors des deux expositions universelles qui se tiennent à Paris, la première en 1889, dans un pavillon dont le style est inspiré des traditions anciennes, la seconde en 1900, dans un pavillon qui reprend le plan d’une église orthodoxe en croix grecque de style néo-byzantin, la Grèce fait connaître en dehors de ses trésors du passé ses nouveautés dues à son industrie et son artisanat.
Le pays est désormais entré dans la modernité et révèle en France et en Europe les talents de ses artistes, sculpteurs et peintres. L’un d’eux, Niképhoros Lytras qui a débuté ses études à Munich devient célèbre, sa peinture est très claire et n’a rien de frelaté, écrit en 1878 le critique et auteur Victor Cherbuliez. En cette année qui marque l’anniversaire du soulèvement, ce ne sont là que quelques repères dans la longue et dense histoire d’une autre entente cordiale, née en Méditerranée.   

Dominique Vergnon

Jean-Luc Martinez (sous la direction de), Paris-Athènes. Naissance de la Grèce moderne 1675-1919, 500 illustrations, 245 x 285 mm, coédition Hazan/Louvres éditions, 503 pages, 48 p.-, 39 €

À découvrir au musée du Louvre jusqu’au 10 janvier 2022

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