La poésie des sakura

Grand maître du haïku – il en composa environ 20 000 – le poète Kobayashi Issa (1763-1828) exprime en quelques lignes ce que pourrait, depuis les temps immémoriaux, ressentir à son tour chaque Japonais d’aujourd’hui.  

Le chêne
Sa mine indifférente
devant les cerisiers fleuris.

Être rien qu’en vie
à l’ombre des cerisiers
cela est miracle. 

Sous les fleurs de cerisiers
grouille et fourmille
l’humanité.

À l'ombre des fleurs de cerisiers
il n’est plus
d'étrangers. 

Année après année, dans une féérie de couleurs où s’harmonisent les blancs et les roses, les cerisiers fleurissent partout sur l’archipel du Soleil levant, occasion d’un rituel immuable de contemplation datant de l’époque Heian (794-1185), l’hanami. Emblème du Japon, les sakura deviennent alors comme autant d’arbres sacrés, immense ornement symbolisant le périssable et le transitoire du monde, le fugitif et le fragile des êtres et des choses sous le voile de la beauté pure. Géographe, chargée de recherche et professeure au CNRS, Sylvie Guichard-Anguis qui a beaucoup voyagé au Japon et possède une immense connaissance de la culture de ce pays, écrit que l’expression de la nature repose sur différentes conceptions. Cependant le cours des saisons joue le rôle principal dans cette évocation des paysages. Le moment évoqué de l’année illustre toujours une vision dynamique allant vers l’avenir, confinant le présent ou le passé immédiat dans l’oubli 1.
Ce qu’elle note au sujet de la pratique du thé pourrait se transposer à l’art et montrer qu’il y a ici également comme une espèce de cérémonie célébrant l’union totale de l’esprit et de la souveraine splendeur de la nature.

La floraison des cerisiers excède rarement dix jours, comme le précise Anne Sefrioui dans l’introduction de ce précieux coffret à la couverture d’un ton saumon à peine soutenu, une couleur en accord avec les quelques 80 tableaux qu’elle propose dans son ouvrage qui se déplie en une suite de délicats paysages où circulent les geishas, volent les mésanges et s’épanouissent les corolles. Elle présente de page en page ce spectacle éblouissant tel que l’ont traduit les plus grands artistes comme Hiroshige, Hokusai, Chikanobu, Yoshida, Kunisada et tant d’autres, déposant sur le papier du bout de leur pinceau des merveilles vues à travers leurs différents regards.

Revenant régulièrement au printemps, accompagnée d’un parfum léger et furtif, c’est une invitation faite au promeneur là-bas et au lecteur ici d’assister au double enchantement de la séduction de la vue et de l’odorat. Anne Sefrioui, dont on avait apprécié déjà les précédents livres traitant de plusieurs sujets, comme la lune et les oiseaux vus par les grands maîtres de l’estampe japonaise et les Cent vues d’Edo, relate notamment cette coutume des habitants d’Edo, l’ancienne Tokyo, de venir admirer la grâce des fleurs des sakura pointant sous la douceur des feuilles ovales et lancéolées en se réunissant dans le parc d’Asuka-yama, au début du XVIIIe siècle, et boire du saké à l’abri des frondaisons.

Pour ces recréateurs de la nature que sont les artistes, les symboles de l’éphémère que constituent les éclosions de ces arbres sont une source vive et durable d’inspiration permettant de reproduire la magnificence et l’élégance naturelle, saisies dans la fragilité et la perfection absolues. Un joli livre qui allie en bouquet les arts traditionnels nippons, le charme des cerisiers et le talent des artistes qui ont éternisé l’impermanence.
 

Dominique Vergnon

Anne Sefrioui, Les cerisiers en fleur par les grands maîtres de l’estampe japonaise, 80 illustrations, 122 x 175 mm, éditions Hazan, avril 2022, 226 p.-, 24,95 €

  1. L’éphémère comme modèle culturel japonais

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