Quand aimer se peint

Élan, étreinte, effusion, extase, égarement, la gamme infinie de la beauté, de l’attraction et du désir se déploie sans limites de couleurs et de mouvements et se joue sur la palette des siècles. Quand les peintres avec emphase, sérénité et passion traduisent sur la toile l’émoi des sens et le partage des émotions selon leur vision et les goûts du moment, amour et art riment de bien des façons, cet ouvrage en témoigne.
Les anciens Grecs disposaient d’une série de mots pour approcher au plus près cet univers sacré et secret qu’est l’amour humain. Éros le dieu primordial, Philia qui était l’affection, Agapé pour rejoindre les dieux, Storgê plus chaste et amical, autant de fabuleuses tutelles des sentiments qui selon les mots de l’écrivain et essayiste Marcel Arland  nous font goûter à travers une unique personne le charme du monde entier.

À côté des mots qui se disent et se lisent, l’art qui se crée et se voit, particulièrement la peinture, propose un autre regard sur ce domaine insondable et captivant qu’est l’amour. Elle explore un champ de sensations et d’effets aussi immense que celui de la parole. L’historien d’art Pierre Schneider, auteur notamment d’un remarquable ouvrage sur Matisse, avait également écrit une Petite histoire de l’infini en peinture.
À sa suite, Laurent Bolard, Docteur en histoire de l’art moderne, reliant les vocables et les images, nous montre combien les dimensions de cette relation que l’on pourrait dire intuitu personae dans la mesure où de nombreuses notions associent l’identité, la confiance, la civilité et la moralité, sont étudiées, analysées, acceptées et repoussées par les artistes, dans une profusion de créativité toujours renouvelée, permettant de traiter tous les thèmes jusqu’au plus censuré. On passe de la mythologie à l’impressionnisme et du médiéval au baroque, des compositions académiques aux élaborations modernistes. 

Les œuvres qu’il a choisies sont à elles toutes le révélateur le plus explicite de cette ampleur jamais bornée ni assouvie. Le tragique et la fougue, l’enlacement et la tendresse, l’innocence et la séduction, la déclaration et la galanterie, la danse et la volupté, la longue déclinaison de l’amour que Titien, Boucher, Van Eyck, Renoir, Courbet, Gérôme, Caravage, Manet ou Fragonard décrivent et signent avec emphase, pudeur, réalisme, poésie, frémissement et dynamisme défile devant nos yeux. Roméo et Juliette, Orphée et Eurydice, les époux Arnolfini, les amantes de Toulouse-Lautrec, les amoureux aériens de Chagall, les héros de Tiepolo sont les acteurs de cette fresque qui se déplie comme un accordéon de face à face entre hommes et femmes, donnant accès aux détails des peintures, tantôt intimes et privés, tantôt partagés et manifestes.
Dans Le péché de Monsieur Antoine, paru  en 1847, George Sand estimait que l’amour, c’est l’éternité d’une vie à deux. Ici, le seuil de  l’indifférence pouvant conduire à la rupture n’est pas franchi. Si on reste dans l’éphémère, on pressent que c’est l’éternité qui est recherchée. C’est la démonstration même de l’attirance extrême qui est assurée, pas encore des regrets et des prises de distance.

D’autres œuvres auraient pu représenter les tendresses et les tristesses, les joies et les transes que suscite l’amour humain. Celles qu’a retenues l’auteur de ce coffret sont suffisamment éloquentes pour traduire la variété des saisissements et la vérité des épanchements éprouvés au long des siècles. Des textes, courts et clairs, commentant les tableaux et réunis dans le livret, accompagnent ce déploiement de visions léguées à notre plaisir par les maîtres de toutes les époques et les écoles.
La lecture de ces pages ouvre à la réflexion et à la découverte visuelle un bel ensemble d’attitudes amoureuses et de manières de les représenter où chacun peut en miroir se retrouver ou non, ce qui double leur intérêt.

Dominique Vergnon

Laurent Bolard, L’Amour, coffret l’essentiel, 120x170 mm, 192 reproductions, Hazan, mai 2022, 35 €

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