La neige dans l’estampe japonaise

Célèbre écrivain japonais, Prix Nobel de littérature en 1968, Yasunari Kawabata publie en 1935 Pays de neige, un livre qui allie intrigue amoureuse et contemplation lumineuse. Kawabata équilibre ses mots, c’est un funambule qui fait avancer le lecteur sur une invisible mais constante ligne de splendeur. Une semblable prouesse existe avec les créateurs d’estampes. Une identique maîtrise construit chacune de leurs œuvres et invite le regard à les admirer une à une, en se laissant accompagner par leurs harmonies.   
En japonais, la neige se dit Yuki,  ce qui signifie une neige comme une pluie pouvant se balayer. Très présente en hiver au Japon, il existe une quinzaine de mots pour décrire au plus juste les nombreux visages qu’elle peut prendre,  celui de la poudre, celui du coton, celui de la cendre virevoltante, celui de la rugosité quand il gèle…Les flocons sont appelés des fleurs à six pétales, tout d’élégance et de pureté.

 

C’est le sujet par excellence des artistes japonais qui en font régulièrement le thème central de leurs compositions, s’efforçant de rendre sa puissance et sa fraîcheur. Traduire sa fragilité et son impermanence est comme une gageure qu’ils relèvent chacun à sa façon, en plaçant presque toujours et en général au premier plan des personnages, des animaux, des arbres, des maisons, des collines et des lacs pour ne faire ressortir par contraste que cette neige mise en majesté derrière des éléments devenus de simples faire valoir.
Ils ont observé la neige sous toutes ses variantes, ils ont compris combien elle se prêtait à des jeux infinis de lignes et de volumes, lui permettant de ce fait de se montrer tour à tour âpre, mordante, glaciale, veloutée, moelleuse, amène, couvrant les moindres reliefs d’une couche de douceur qui les absorbe. Figée sur des branches, frappant de tourbillons serrés le colporteur, doublant d’un manteau immaculé les pentes du mont Ibuki, assez douce pour accueillir les pattes du faisan en quête de nourriture et en garder durablement l’empreinte, déjà au bord de la fonte dans les villes et moins lactescente qu’à la campagne, facile à rassembler par les enfants qui à partir d’une petite boule recréent peu à peu une énorme sphère qui roule et les entraîne, la neige ne cesse de se transformer en une actrice multiple sur la scène d’un tableau et en être la seule protagoniste.

Dans des styles qui les rapprochent sans qu’ils se confondent et ainsi les identifient, Hiroshige, Hokusai, Keisai Eisen, Harunobu, Kuniyoshi et les autres célèbrent la neige dans ses noces avec un monde quotidien qu’ils transfigurent sans le détourner de son essence première. Ils se changent simplement en poètes qui s’adressent à nos yeux. Tous sont par-là autant d’enchanteurs qui s’effacent derrière leurs œuvres, se limitant si l’on peut dire à reproduire ce qui est le plus difficile, les merveilles intemporelles de la nature pour leur donner une durable place d’honneur.
On note également que si les choix des sujets et les manières de représenter cet autre hydrométéore tombant du ciel évoluent au cours des siècles, entre une estampe de 1762 et une autre de 1936 une pareille vénération demeure. Ainsi que l’écrit l’auteur, responsable des collections d'estampes de la Bibliothèque Sainte-Geneviève et conservateur au département des Estampes et de la Photographie à la Bibliothèque nationale de France, transcrire la blancheur de la neige, donc par définition l’absence de couleur, constitue pour l’estampe polychrome japonaise un défi que les artistes ont relevé avec un immense talent et un succès inégalé.   

Dominique Vergnon

Jocelyn Bouquillard, La neige par les grands maîtres de l'estampe japonaise, 174x245 mm, 64 illustrations, Hazan, novembre 2022, 236 p.-, 35€

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