Sur une photo d'Henri Cartier-Bresson

Rien de rien de la caste ou du cercle fermé, bien au contraire : vivant et vivace foyer d'amitié et de poésie au sens large que le Montjustin de " la belle époque " !
En voici une image parmi tant d'autres encore inédites, celle-là datant du début des années 80, saisie au vol au cours d'une conversation qui va alors visiblement bon train dans le jardin du Claux, la maison de vacances où, été comme hiver, Henri Cartier-Bresson et Martine Franck réunissaient volontiers leurs amis et connaissances ; en profitant, l'un et/ou l'autre, au passage, pour immortaliser à leur façon la plupart de leurs hôtes en une sorte d'album de famille, il est vrai, pas tout à fait comme les autres.
Le maître de céans faisant, lui, de son côté, par contre, tout son possible et discrètement de son mieux pour, au besoin, éviter – n'était-ce pas là, de sa part, vraiment un comble ! – d'être lui-même photographié par quiconque à l'improviste !
Bien reconnaissable pour celles et ceux, innombrables, qui l'on connu ou simplement croisé, le gars que l'on voit de profil, bras tendu à l'horizontale, sur ce portrait d'Yvonne Geniet – épouse de Paul, co-fondateur des Rencontres d'Arles avec Lucien Clergue, Jean-Maurice Rouquette et Michel Tournier – n'est autre que Lulu, Luluberlu comme l'appelaient familièrement ses proches : Lucien Henry de Forcalquier, le brocanteur-galeriste farfelu, fantaisiste, sorte de bateleur, de fou du roi, et ami des artistes qui est mort assassiné chez lui, la nuit du 31 décembre 88, dans sa maison changée aujourd'hui en musée municipal où fut accueillie, durant tout l'été dernier, l'exposition Fiorio proposée par les généreux bénévoles de l'Association du Patrimoine local.
 
Arlésienne, comme on s'en doute au fort et bel accent chantant provençal, directe et amène par une personnalité bien affirmée, hors-norme même, le cœur à sa place et les yeux bien en face des trous, Yvonne ne s’embarrassait pas de faux-semblants, jamais. Aussi, ses mots d'esprit, jamais blessants, mais cependant à tous les coups tellement aussi spontanés qu'efficaces à l'encontre des conventions, des clichés et des préjugés, faisaient merveille, ici et là, au fil toujours aussi prenant de sa conversation, la ponctuant le plus souvent avec malice, assortie d'à-propos pleins de bon sens.

Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus...

 
Que voulez-vous, les uns et les autres, entre absence et présence, évanouissement dans la nature, certes, je vous perçois et vous considère, n'empêche – à l'encontre du pauvre Rutebeuf et de sa cafardeuse complainte –, avant tout comme faisant encore, toutes et tous, bel et bien partie de la société des vivants, et c'est sans me forcer aucunement, pas une once, que je me plais volontiers à le croire vraiment ; aussi à vous saluer, donc, tour à tour comme tels, sitôt qu'un tant soit peu vous évoquant, tel ou tel document me tombe, en clin d'œil, du ciel sous la plume ou bien qu'à la moindre occasion l'un ou l'autre d'entre vous m'interpelle soudain de lui-même directement, me soufflant, impromptu, quantité de choses inspirantes dont, sans vous, je ne me souviendrais sans doute plus si bien, ni si exactement.
Parce que ancrée dans un présent intemporel, insoluble comme insubmersible, autant qu'inoxydable, telle photo de vous agit de même, en effet, puisque, en miroir, je m'y retourne forcément toujours un peu sur moi-même, me recueillant et me reposant alors ainsi un moment en vous, très chers vivants.
 
André Lombard
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