Henri Cartier-Bresson et le portrait d'Henriette-Émile Lauga

Le portrait de couple n'est pas du genre très courant dans l’œuvre photographique d’Henri Cartier-Bresson.
Tout un chacun a cependant en mémoire, par exemple, celui, bon chic bon genre, bourgeois même, d'Aragon-Elsa chez eux et cet autre de Sartre-Beauvoir attablés côte-à-côte dans une grande brasserie parisienne ; le plus connu, étant sans doute cet autre encore, exceptionnel, stupéfiant de vérité autant que de sobriété, d'Irène et Frédéric Joliot-Curie, approximativement daté de 1944.

Celui du couple Henriette-Émile Lauga est bien plus récent que ces trois-là, il est des années soixante-dix, c’est-à-dire en plein du temps où, revenu à ses premières amours, dessiner, HCB s'y adonne régulièrement tout en photographiant encore avec bonheur, certes, mais de temps à autre seulement, à l'occasion, prenant alors le plus souvent pour sujets des gens de son proche entourage, qu'il apprécie donc plus personnellement, selon son cœur.  

C’est pourquoi il s’agit justement ici d’un couple de ses amis auquel il rend visite, sans doute un dimanche matin, jour de marché à Reillanne où il se rend toujours volontiers depuis sa maison de vacances sise sur la commune voisine de Montjustin où il finira ses jours et y sera inhumé en pleine terre dans le petit cimetière-jardin à flanc de colline.
Mais, pour l’instant, nous nous trouvons avec lui dans l’exigu cabinet de curiosités d’Henriette et Émile, cours Thierry d’Argenlieu, au centre du village où, tous deux très dynamiques, ils ont ensemble, dès 1972, créé une association culturelle assortie d’un musée ethnologique. Le tout remarquable, à l’enseigne classique : Les Amis des Arts, tout simplement. L'association prospère par diverses expositions tandis que le musée existe encore aujourd’hui et mérite amplement la visite.

Répondant sans doute à une soudaine discrète invite du photographe à se rapprocher l’un de l’autre, le couple s'offre donc ainsi à l’objectif sans réfléchir, aussitôt très spontanément uni d’une main, en maillons inséparables qu’ils furent vraiment.
Dans l’infinitésimale attente que le petit oiseau sorte de la boîte, aucun des deux ne dérobe son regard à celui de l’ami photographe, bien au contraire : visiblement amusé, Émile arbore une bonne et malicieuse expression, comme si HCB leur faisait là une sorte de blague, les taquinait un peu, en camarade de passage. Tandis qu'Henriette, blottie près de son homme, sourit le plus gracieusement du monde, selon son heureuse nature.

Comme HCB le confiait au Monde en 1983 : Il ne faut pas qu'on se dise : “Monsieur le photographe était là.” Il faut prendre le type quand il est à l'intérieur de lui-même. Le portrait, c'est passer l'appareil entre la chemise et la peau, sans faire de mal.
Mais, s’agissant  d’un couple, c’est forcément – cela parle seul –, une toute autre paire de manches que d’atteindre au moment exact, opportun, de devoir alors présentement tirer sur-le-champ, encore et toujours plus vite que son ombre ! N'est-ce pas là une forme d'art cousine du kyudo, l'art du tir à l'arc japonais ?

André Lombard

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