Henry James : le tomeV dans la Pléiade offre de nouvelles traductions d’Un portrait de femmes – et autres romans

Cinquième tome à être publié dans la Pléiade, ce Portrait de femmes – et autres romans qui s’accompagne de la parution, pour la première fois en poche, des Carnets d’Henry James (Folio Classique, 720 p. – 9,70 €), offre de nouvelles traductions, plus « modernes ». Dans le même esprit qui a vu l’Ulysse de Joyce refaire peau neuve il y a quelques années pour la plus grande joie des (nouveaux) lecteurs… Et des plus anciens aussi. Je l’avoue, ma préférence penchant pour la nouvelle version. Car, n’en déplaise aux puristes, une traduction est par définition une trahison. Donc autant que faire se peut, donnons-lui le plus de cohérence avec le temps culturel dans lequel elle s’inscrit. Le français – comme toutes les langues principales – n’a de cesse d’évoluer. Même si cela est trop souvent dans le mauvais sens. Mais force est de constater que dépoussiérer certains textes s’avère indispensable.

Ainsi en est-il ici des romans d’Henry James rassemblés autour du Portrait, salué lors de sa parution comme un chef-d’œuvre. C’est la période la plus faste, la plus intéressante que nous suivons dans ce livre : arrimé définitivement en 1875 « au Vieux Monde – mon choix, mon besoin, ma vie », James est un écrivain reconnu qui a déjà sept romans et trente-sept nouvelles derrière lui… Mais il est toujours associé à un auteur d’articles critiques, de récits de voyage, de nouvelles...  

Il faudra donc ce « monument littéraire », selon la formule de la préface de l’édition newyorkaise, pour que Henry James assume son dessein. D’ailleurs refusa-t-il que Les Européens et Washington square fussent inclus dans l’édition d’outre-Atlantique, déplorant la minceur de ces deux romans… qui devinrent néanmoins des classiques au fil des ans.

 

Il faut dire que James aspirait, « techniquement » – à l’époque de Roderick Hudson – « à [s]e blottir, et avec ferveur, dans la grande ombre de Balzac », la société américaine lui paraissant encore présenter cet « aspect négatif du spectacle » que toute bonne littérature se doit de fuir. Ayant publiquement émis cet avis plein de bon sens, Henry James s’attira l’ire de ses compatriotes. Et il s’en amusa, commentant depuis Londres « cette tempête dans un verre d’eau » tout en prenant de la hauteur et gagnant en maturité d’écriture…

Ainsi, chacun des quatre romans de cette édition fait une part, parfois marginale, mais le plus souvent centrale, aux abîmes invisibles de l’esprit et du cœur : fascinations dangereuses, pulsations de maîtrise ou d’emprise, dévastations secrètes… La tragédie du sculpteur Hudson entraîne plusieurs consciences dans l’expérience du désastre, voire l’étendue d’émotions ambivalentes. À la fin des Européens, le jeu prismatique des reflets et contrastes laisse dans l’ombre l’échec humiliant de la séduisante baronne. Quand l’abîme de l’illusion humaine sera dépeint magistralement dans Washington square où fleuriront des blessures narcissiques irrémédiables, des perversions du sentiment familial et des ambitions sociales.

 

Devenu un maître en la matière, Henry James ne cesse de poser, par l’entremise de ses romans – ces quatre-là, notamment – la question des rapports entre Europe et Amérique. Une quête envoûtante qui le hantera des années durant. Ce qui donnera soit une comédie humaine aiguisée par le tranchant de l’ironie (Les Européens) ou un portrait de femme paradoxal et poignant (Washington square) dans son combat contre un chasseur de dot ; sans doute deux esquisses pour son grand Portrait de femme qui dépeint l’éducation sentimentale d’une jeune américaine en Angleterre puis en Italie. Un monument littéraire érigé autour de la figure d’une « jeune fille affrontant sa destinée », un texte complexe mais d’une grande richesse qui se déploie grâce à un architecture romanesque qui permet l’entrecroisement des points de vue et une peinture qui mêle délicatement images et modulations des voix. Henry James réussit le tour de force de tisser les nervures d’une conscience née de l’expérience même du désastre, de l’erreur et du malheur. Noirceur du récit, mais trame fascinante et lecture savoureuse, preuves irréfutables que l’on tient entre les mains un auteur de grand talent.

 

Ce volume contient :

Préface, note sur la présente édition par Evelyne Labbé

Roderick Hudson

Les Européens

Washington square

Un portrait de femme

Appendices : Préfaces à l’édition de New York ; Carnets (extraits)

Notices et notes

Choix bibliographique

 

Annabelle Hautecontre

 

Henry James, Un portrait de femmes – et autres romans, nouvelles traductions, édition établie par Evelyne Labbé (avec la collaboration d’Anne Battesti et Claude Grimal), volume relié pleine peau sous coffret illustré, Gallimard, collection "Bibliothèque de la Pléiade", n° 609, février 2016, 1600 p. – 72,00 € (65,00 € jusqu’au 31 août 2016)

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