Le monde des Ramsès


Claire Lalouette, professeur émérite à la Sorbonne, est un ancien membre de l’Institut archéologique du Caire. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’Egypte Ancienne comme son Histoire de la civilisation Pharaonique (1) ou encore Contes et récits de l’Egypte ancienne (2). Dans cet ouvrage, elle nous présente le point culminant de cette civilisation : le règne des Ramsès entre 1314 et 1085 avant notre ère.

« Ce fut le temps des rois guerriers, le temps de la grande épopée des souverains conquérants qui, dans le tourbillon héroïque des jours et des années, bâtirent le plus ancien et le plus vaste empire d’Orient » (3)

Des souverains militaires

L’accession au pouvoir des Ramessides s’inscrit dans un contexte politique international troublé par les grandes invasions indo-européennes de l’an 2000 avant notre ère. Des peuples aryens vinrent s’installer au pays de Mitanni (4), regroupant sous leur domination différents Etats pour former une monarchie puissante menaçant l’hégémonie égyptienne en Orient. Pour Thoutmosis III et ses successeurs de la XVIIIe dynastie, la guerre devenait inévitable pour mettre un terme à l’expansion des peuples du Nord. Thoutmosis III mena dix-sept campagnes en Asie qui lui permirent s’assurer sa main mise sur les ports phéniciens. Pharaon devenait ainsi un guerrier vaillant, maître d’un vaste empire ouvrant la voie aux Ramsès.

Cependant la création du royaume du Hatti, l’ascension de la puissance assyrienne et la faiblesse de souverains plus préoccupés d’idéologie religieuse (Aménophis IV vers 1370 avant J.C et Toutankhamon vers 1350 avant J.C) ont aggravé la situation internationale de l’empire Egyptien. A la mort de Toutankhamon, la crise de succession et l’attaque de l’armée Hittite (5) signent la fin de la XVIIIe dynastie et la venue des pharaons militaires : le général Horemheb, après avoir repoussé les Hittites, reçut le pouvoir suprême. Horemheb, n’ayant pas de descendant, nomma lui-même son successeur : le vizir et commandant de l’armée de Paramsès. Ainsi vers 1314 avant J.V, Ramsès Ier est-il intronisé. Au cours du règne des Ramsès, le royaume d’Egypte va faire face à de nombreuses tentatives d’invasions. Les gestes de Ramsès II ou encore Ramsès III témoignent de l’action de ces souverains repoussant les assauts principalement venus d’Orient. Ainsi « les Ramsès, grâce à leur courage et à leur lucidité, ont permis la formation d’un monde nouveau » (6)

Une nouvelle philosophie politique et spirituelle.

Si la XIXe dynastie constitue l’âge d’or de l’histoire de l’Egypte, c’est aussi parce qu’elle a su faire évoluer la pensée monarchique jusqu’à un point qui n’avait jamais été atteint.

La mythologie des formes royales des Ramsès atteint le plus haut niveau de la construction intellectuelle. Les « images » ramessides confondent dans la personne du Pharaon, des forces animales, naturelles ou cosmologiques. Pharaon est tout à tour assimilé à « un taureau puissant », « un grand lion », « un faucon divin » ou encore à un griffon, animal gardien et protecteur dans le monde hellénistique (7). Lors de la bataille de Kadesh, Ramsès II est un« feu ardent », Ramsès III « une divine étoile scintillante et sauvage à la poursuite des ennemis ».

Les qualités et les fonctions de Pharaon se confondent avec les éléments d’une personnalité divine et vont inspirer d’autres civilisations antiques : il possède la connaissance, l’intelligence, la sagesse et la raison « depuis l’enfance » (8) Ses fonctions comme celle « du bon berger » sont reprises dans Le Nouveau Testament, tandis que la lumière, partie intégrante de la personnalité du souverain, se retrouve dans la pensée islamique où Allah est lumière. Le culte dont les rois d’Egypte font l’objet n’est pas une nouveauté mais il atteint sous les Ramsès son paroxysme.

Pour les Ramsès, l’union politique des peuples devait s’accompagner d’une union spirituelle. Les souverains se sont appuyés sur l’idée que les Dieux représentés les forces du monde et que par conséquent, seul leur nom différait d’une religion à une autre. Ils ont donc accueilli dans le panthéon égyptien des dieux asiatiques comme Baal ou Astarté ou des Dieux africains comme le dieu faucon Dedoum.

Vivre sous le règne d’un Ramsès.

La dernière partie présente la période ramessides sous un jour plus intime et nous fait rentrer dans le quotidien de la population. L’auteur dresse d’abord les portraits de trois grands d’Egypte : Paser, Bakenkhonsou et Setaou. Nous en apprenons ainsi plus sur les relations entre les grandes étapes de leur vie : existence familiale, rôle social et religieux, ses relations avec le souverain. Elle s’intéresse également à l’importance des jardins et des activités familiales : concerts, chants sous les sycomores… (9) avant de décrire les fêtes religieuses qui rythment la vie des Egyptiens.

Si la vie des paysans, qui représentent la part la plus importante de la population, reste mal connue, le rôle et l’importance des artisans, « classe moyenne » , semble s’accroître sous les Ramsès. En effet, ils n’étaient pas de simples techniciens mais des auteurs, qui grâce à leurs sculptures ou peintures, étaient les garants de la vie éternelle pour les possesseurs de tombeaux. Ils contribuaient au travail magique de la résurrection, toute forme étant susceptible de s’animer si les rites funéraires étaient accomplis.

Les contes et les légendes égyptiennes sont également d’une grande richesse pour la compréhension de la mentalité égyptienne. Certains thèmes développés sont universels comme la perfidie féminine ou la jalousie (conte des deux frères) : nous les retrouvons dans d’autres récits antiques (10). La légende de la Vache du ciel où est développé le thème de la destruction des hommes par les Dieux, n’est pas sans nous faire penser à l’Ancien Testament et au déluge.

Ainsi Claire Lalouette nous dresse un portrait vivant du monde des Ramsès. Elle montre clairement l’influence de cette civilisation sur le reste de l’antiquité mais aussi sur son importance dans la compréhension du monde moderne. Averti ou non, le lecteur prendra beaucoup de plaisir dans la lecture de ce livre qui est de plus illustré de nombreux textes nouvellement traduits par l’auteur.


Julie Lecanu

 

 

Claire Lalouette, Le monde des Ramsès, Perrin collection Tempus, octobre 2007, 188 pages, 8 euros


(1) Claire Lalouette, Histoire de la civilisation pharaonique, 3 tomes, Paris, 1985 (Fayard). Les trois tomes ont été réédités chez Flammarion dans la collection « Champs histoire » en 1995.
(2) Ead., Contes et récits de l’Egypte ancienne, Paris 2003 ( Flammarion « Champs histoire »).
(3) Lalouette Claire, Le Monde des Ramsès, p. 10-11.
(4) Région montagneuse où le Tigre et L’Euphrate prennent leur source.
(5) Ankhesenamon , sa veuve, avait demandé le fils du roi du Hatti en mariage : celui-ci fut assassiné lors de son voyage vers l’Egypte. Pour venger cette mort, l’armée Hittite se mit aussitôt en marche.
(6) p. 71.
(7) Sous les Ramsès, la pensée égyptienne adoptait volontiers les formes nouvelles venant de l’extérieur dans un soucis de cosmopolitisme, profitant des grands mouvements de peuple.
(8) La sagesse et la raison à peine sorti du ventre de la mère est un thème que l’on retrouve dans l’hagiographie, notamment dans l’hagiographie byzantine.
(9) On trouvera à cette occasion un texte traduit par l’auteur « Les dires du grand bonheur » p. 122-128.
(10) La femme perfide, ou « côte tordue » se retrouve aussi bien dans la mythologie grecque et latine que dans la Bible.

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