"Les grands discours de guerre du général de Gaulle", Et le Verbe fut...

Délicat exercice que de se livrer à l’analyse de ce recueil des discours de guerre du général de Gaulle, publié à l’occasion des soixante-dix ans de l’appel du 18-Juin. Si la lecture « gaullienne », inséparable de ce que les spécialistes ont convenu de nommer la mythologie « résistancialiste », de la seconde guerre mondiale, a été remise en cause par le travail d’historiens comme Robert Paxton ou Jean-Pierre Azéma, le personnage reste cependant une véritable icône de l’histoire française du vingtième siècle.

La préface de Régis Debray (1) a le mérite de replacer les discours de guerre dans la lignée idéologique de leur auteur et de son parcours. De Gaulle a parfois confié qu’il parlait haut et fort au nom de la France car celle-ci n’avait plus les moyens d’une politique de puissance. Ce qui était vrai dans les années 60 l’est encore plus durant la seconde guerre mondiale où, il convient de le rappeler, la France n’est plus un acteur de premier plan passé le choc de la défaite de 1940.

De Gaulle use dans ses discours de figures de style, assimile comme Barrès la France à une personne : il use d’un vocabulaire nationaliste d’où un ton parfois grandiloquent, souvent emphatique, plein de figures de rhétorique. On retrouve dans ses appels au rassemblement des invocations constantes aux vingt siècles de l’histoire de France et aux quinze cents ans de batailles, perdues ou gagnées mais toujours glorieuses. Car De Gaulle n’a de cesse de vouloir à tout prix faire oublier à ses auditeurs, quel qu’ils soient, la défaite et  l’armistice de 1940. D’où la violence de ses philippiques contre Vichy et Pétain qui ont mis fin à la lutte sur le territoire français. Toutes les armes sont bonnes pour de Gaulle, y compris l’humour : il désigne sans cesse son ancien protecteur, le maréchal Pétain, du sobriquet de « père la défaite », renversement complet de la formule du « père la victoire » qui désignait Georges Clemenceau après la victoire de 1918, dans le but évident de ridiculiser le chef de l’Etat Français, longtemps bien plus populaire que lui.

Ces discours auraient cependant pu gagner en clarté en étant replacés dans leur contexte. Prenons par exemple trois discours prononcés à la même date (le 18 juin) en 1940, 1941 et 1942. Le fameux appel du 18 juin (passons sur les vicissitudes de cet appel, très bien étudié dans un livre éponyme de François Delpla) est prononcé à la radio et vise à rallier, dans des circonstances dramatiques le plus de français. Même si de Gaulle se démarque du gouvernement de Pétain, il se montre prudent dans son ton : rien n’est joué, la réponse des allemands à la demande d’armistice n’est pas connue et de Gaulle comme les anglais attendent des ralliements de poids à ce discours radiophonique (qui, on le sait, ne viendront pas).

Un an plus tard, celui du 18 Juin 1941 a ceci de remarquable d’être extrêmement véhément contre Vichy. Il est en effet prononcé à la radio de Londres à un moment ou les français libres affrontent les troupes de Vichy en Syrie, après que les allemands aient utilisé les aérodromes français afin d’acheminer des armes en Irak pour soutenir les rebelles contre les anglais. Il s’agit du deuxième affrontement entre français, après celui de Dakar en Septembre 1940 où la détermination du général a, de son aveu même dans ses mémoires de guerre, vacillé. Il se termine par un hommage soutenu aux américains, qui ne s’explique que de deux façons : de Gaulle cherchait un contrepoids à l’encombrante tutelle anglaise ainsi que le bénéfice financier de la loi du prêt bail pour son mouvement.

Le discours du 18 Juin 1942, prononcé au Royal Albert Hall devant une foule bien plus réceptive, est aussi truffé de références à décoder. Pourquoi trouver ici et là les références aux réseaux de la résistance intérieure ? Ce discours ne se comprend que si on garde à l’esprit que de Gaulle a failli être remplacé au début de l’année par l’amiral Muselier. Certains dirigeants anglais se méfient de plus en plus d’un homme accusé d’aspirer au pouvoir personnel. L’action de Jean Moulin pour le faire reconnaître par les différents réseaux, comme Libération, pendant l’hiver 1941-42 a été pour lui un moyen de retremper sa légitimité (alors que le grand homme ignore longtemps l’importance de l’action des premiers réseaux de résistance pendant les deux premiers temps de l’occupation). Et mêler dans un même discours  hommage à la résistance et éloge de la combativité du peuple soviétique est adroit quand on connaît la place grandissante du PCF dans les organisations clandestines.

Le ton change donc non seulement en fonction de l’époque mais aussi du public. Devant une assemblée de parlementaires chevronnés (discours du 3 novembre 1943), De Gaulle sera par exemple, moins emphatique, plus posé, plus policé. Plus républicain en somme. Car il sait que la victoire alliée n’est plus qu’une question de temps : il a donc besoin d’attirer à lui le plus grand nombre d’hommes politique de la troisième République, susceptibles de lui apporter la caution démocratique dont il a besoin pour s’affirmer face aux alliés, Roosevelt en tête, peu pressés de le voir prendre le pouvoir en France à la Libération.

Ce recueil de textes permet donc d’assister à la métamorphose d’un obscur général de brigade (à titre temporaire) en dirigeant politique de premier ordre. Il lui manque cependant une vraie mise en perspective qu’auraient pu fournir des notes et des commentaires plus fouillés, rédigés par des spécialistes. L’amateur, comme le néophyte intéressé par la période, peuvent cependant prendre du plaisir à la redécouverte de ces discours, témoignage de la magie de cet artiste du verbe :

« Nous vaincrons ! il peut encore couler, hélas ! Beaucoup de sang et beaucoup de larmes. Mais à présent rien n’empêchera le destin de s’accomplir. Nous ne sommes pas seulement aujourd’hui au bord de la victoire, nous avons commencé à y entrer. Ce n’est plus dans notre camp que sont le doute et l’angoisse, mais bien dans le camp de l’ennemi. C’est une France rassemblée, consciente de ce qu’elle devra aux autres, mais consciente aussi de ce qui lui est dû, qui sera demain, à sa place, parmi les vainqueurs. »
(Discours du 18 Juin 1943)

Sylvain Bonnet


Charles de Gaulle, Les grands discours de guerre, préface de Régis Debray, Perrin, 165 pages, avril 2010, 16,50 €

(1) Auteur, entre autres, d'un A demain De Gaulle (Folio Actuel, 1996)

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