"Histoire de l'abolition de la peine de mort", le long chemin d'une idée révolutionnaire

Sept
embre 2011 a vu la commémoration du 30e anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France. Cet ouvrage de Jean-Yves Le Naour, plus connu pour ses travaux sur la Grande Guerre, vient donc à point nommé et s’inscrit également dans la vague éditoriale des commémorations de l’arrivée de la gauche de François Mitterrand au pouvoir — l’abolition de la peine de mort est devenue dans la mémoire collective une des mesures les plus emblématiques de cette époque.

L’étude proposée se situe clairement dans le fil idéologique des abolitionnistes ; sa thèse centrale démontre en quoi l’abolition était nécessaire, correspondait à l’évolution des temps et pourquoi la France fut plutôt en retrait en Europe. Ce parti pris donne au livre une perspective téléologique, totalement légitime mais qui peut cependant agacer le lecteur.

Les origines de l’abolitionnisme

Un des mérites de l’ouvrage est de mettre en avant l’importance de Cesare Beccaria, noble toscan dont le traité sur l’abolition, publié en 1763, eut un grand retentissement en Europe et posa les termes du débat. Beccaria conteste la légitimité de cette sanction en partant d’un constat simple :

« Il me paraît absurde que les lois, qui sont l’expression de la volonté publique, qui détestent et punissent l’homicide, en commettent un elles-mêmes, et que pour éloigner les citoyens de l’assassinat, elles ordonnent un assassinat public. »

De ce point de départ de son argumentation, Beccaria déduit également le principe de proportionnalité des peines et d’autre part préconise « l’esclavage perpétuel » — la perpétuité — pour les crimes les plus horribles.

Les débuts de la Révolution permettent au débat de prendre une ampleur inédite et certains députés de la Constituante, comme Robespierre — ce qui ne manque pas de piquant quand on connaît son rôle dans la Terreur — ou de l’Assemblée Législative comme Condorcet, font valoir leur opposition à l’existence de cette peine, sans parvenir à convaincre les assemblées successives. En 1795, la Convention, avant de se séparer, débattra pourtant de l’abolition qu’elle renverra prudemment au moment de la conclusion du traité de paix… on connaît la suite.

Un débat récurrent pendant deux siècles

Le XIXe siècle confirme l’existence d’un courant abolitionniste, constitué d’intellectuels, de juristes et d’hommes politiques dont Victor Hugo est l’un des plus brillants représentants : il publie par exemple en 1829 Le dernier jour d’un condamné à mort, accompagné d’une préface ou il prend nettement position en faveur de l’abolition. Lamartine aussi partage ce combat et publie en 1830 un poème intitulé Contre la peine de mort, et usant de sa qualité de député pour convaincre ses collègues de la Chambre. L’action d’un député aujourd’hui oublié, Charles Lucas, permettra en tout cas l’abolition de la peine de mort pour les crimes « politiques », en réaction à la terreur et aussi pour sauver la tête des anciens ministres de Charles X. Signalons en tout cas la qualité des débats sous la Monarchie de Juillet, sous laquelle la question de la peine de mort est de fait subordonnée à la hiérarchie des peines et à la réforme du code pénal.

Si le nombre moyen des condamnations à la peine capitale et des exécutions est divisé par dix au cours du XIXe siècle, l’abolition de la peine de mort devient un des débats les plus houleux de la période, à un moment où des pays européens abandonnent le recours au châtiment suprême, comme le Portugal en 1867. Ce sont d’abord quelques députés de la IIIième République, comme Victor Schoelcher ou Jules Simon, qui poursuivent le combat. Aristide Briand, garde des Sceaux du gouvernement Clemenceau, ira devant la chambre défendre l’abolition, mais la conjonction d’une affaire criminelle particulièrement horrible, d’une campagne de presse anti-abolitionniste, et du large refus de l’opinion publique, entraîne un vote négatif, ce qui clôture le débat pendant la première moitié du XXe siècle. Après la seconde guerre mondiale, si le nombre de condamnations prononcées et exécutées devient progressivement négligeable, certains intellectuels, comme Albert Camus, continuent de mobiliser l’opinion contre l’existence de la peine capitale.

L’abolition de 1981

Après la fin de la guerre d’Algérie, la peine de mort est de moins en moins prononcée en France. En Europe, l’évolution des mœurs va dans le sens de l’abolitionnisme : la peine de mort est ainsi abolie au Royaume-Uni en 1969. Après son élection en 1974, VGE laissera un temps quelques espoirs aux abolitionnistes mais, devant les convictions de la majorité des députés de droite, n’osera pas franchir le Rubicon. Il reviendra à François Mitterrand, qui a inscrit cette mesure au programme commun de la gauche en 1972, et à Robert Badinter de proposer au parlement l’abolition de la peine de mort. Remarquons qu’il est ironique de voir que c’est François Mitterrand qui a procédé à l’abolition alors qu’en tant que garde des Sceaux en 1956-57, il avait recommandé la peine capitale dans la plupart des cas qui lui étaient soumis. Avait-il mauvaise conscience ? En tout cas, l’auteur suggère qu’une des causes du retard de la France est son histoire heurtée, instable ; il soutient également que l’exercice de ce droit régalien, héritage des monarques absolus, était symboliquement tombé entre les mains du peuple souverain après la Révolution et que celui-ci répugnait à s’en défaire.

Au final, le reproche majeur que l’on peut faire à l’ouvrage est qu’il semble parfois dédaigner certains arguments des partisans de la peine capitale. Car la peine de mort sous-tendait l’ensemble de la hiérarchie des peines du code pénal, elle-même expression des valeurs de la société. À notre époque, remarquons que nous n’avons toujours pas trouvé de solutions complètement satisfaisantes au traitement des coupables de crimes pédophiles, de tueurs en série, de violeurs récidivistes. Comment concilier l’impératif de protection des citoyens avec le traitement de ces cas ? L’emprisonnement à vie est-il la seule solution ? Quid de la castration chimique et des traitements psychiatriques ? Sans oublier le débat actuel sur la récidive…

Au total, malgré un style trop sec et un parti pris parfois agaçant — non pas tant sur le fond que  dans la forme —, cet ouvrage, finalement autant politique qu’historique, est tout à fait digne d’intérêt et permet de restituer un débat qui passionna l’opinion publique durant deux siècles et dont on aurait tort de croire les braises éteintes.

Sylvain Bonnet

Jean-Yves Le Naour, Histoire de l'abolition de la peine de mort, préface de Robert Badinter, Perrin, Avril 2011, 404 pages, 23 €

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