Rose Bertin, couturière de Marie-Antoinette

Michelle Sapori a écrit une thèse sur la mode et l’industrie du luxe dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, illustrant son propos avec « le ministre des modes de Marie-Antoinette » : Rose Bertin. Elle a fait paraître un ouvrage sur Mademoiselle Bertin, en 2003, après presque un siècle de silence sur le sujet (1). Rose Bertin pourrait être considérée comme la Sainte patronne de la mode. C’est la première grande couturière, au sens moderne du terme. On passe de la « façon » à la création artistique comme le fit remarquer Mercier dans son remarquable tableau de Paris…

Une origine obscure

On est frappé par le parallèle entre les débuts du chirurgien de Louis XV, La Martinière, raconté dans la même collection par François Iselin, et Rose Bertin. Rose  n’est pas Rose mais Marie Jeanne. Le prénom plus seyant de Rose lui a été imposé par la postérité, au siècle suivant. Née en 1747, elle est d’un tout petit milieu et débute comme « apprentisse » (sic) chez une marchande de mode d’Abbeville. Elle a des doigts de fée pour coiffer les dames et Abbeville, écrasée par ses manufactures de draps, lui semble trop étroite. En 1766, elle arrive à Paris, elle a dix-neuf ans. L’auteur suggère que son manque de joliesse lui évite le sort de nombreuses petites employées qui arrivent à Paris, dans le domaine, toujours instable de la mode… La prostitution… Cette « chance » lui évite aussi le destin de Jeanne Bécu, alors que leur début est semblable, devenue comtesse Du Barry. Elle ne sera ni sur le trottoir, ni dans un palais comme courtisane… Il lui reste le travail.

Le talent et la chance

Désignée par sa patronne pour faire la robe de mariée de la duchesse de Chartres, épouse du futur Philippe-Egalité, neveu du roi Louis XV, elle y gagne un franc succès. Sa patronne l’associe à) ses affaires avant que Rose ouvre sa propre enseigne au Grand Mogol, au 13 rue de Richelieu, à l’emplacement actuel du Louvre des antiquaires. De fil en aiguille, si on peut dire, par la création de chapeaux délirants comme le Quésaco ou le Pouf, Mlle Bertin parvient jusqu’à la toute nouvelle reine de dix neuf ans, Marie Antoinette, en 1774. Cette dernière bouscule l’étiquette au point d’admettre la couturière dans son intimité. Le couple insolite prend le pouvoir… De la mode ! Singeant même le langage politique. Mlle Bertin a droit à des honneurs qui ne lui reviennent pas et suscite la jalousie. Elle a presque l’exclusivité des parures de la reine, seule une dame Pompey, de Versailles réussit à faire quelque chiffre d’affaires avec Marie-Antoinette.

Rose Bertin, femme d’affaires

Rose Bertin, grâce à la faveur royale, habille tout ce que la France compte de femmes  importantes. Michelle Sapori recense plus de 1200 noms de clients. Elle emploie trente ouvrières et multiplie les sous-traitants. Les reines d’Europe font appel à ses services, en Russie, en Suède, en Espagne… La couturière est chère, mais les riches sont pingres et elle du mal à se faire payer. On est en plein incident diplomatique en 1785, quand le Lieutenant de police en personne, doit intervenir pour que Mademoiselle Bertin rabatte de trente mille livres une commande pour l’infante du Portugal ! L’auteur nous décrit l’ « avant Bertin » et les nouveautés de la grande couturière. Rose Bertin doit se battre aussi contre la concurrence, car nombreux sont ceux en embuscade. Son pire concurrent est Jean-Joseph Beaulard, rue Saint-Honoré, à quelques mètres à peine… Beaulard tente de lui chiper la clientèle de la reine en se faisant introduire auprès d’elle par la princesse de Lamballe. Rose est furieuse contre la princesse. 

Le crépuscule d’une artiste

Rose est jalousée par la noblesse qui considère qu’elle ne tient pas son rang. Elle regroupe sa famille autour d’elle et contrôle tout. La couturière affiche sa fortune aves sa maison d’Epinay. Les dépenses de mode de la reine se multiplient et le roi, s’il proteste, finit toujours par y céder. À partir de 1786, on doit faire des économies. Les commandes de la reine diminuent et se divisent presque par trois entre 1789 et 1792. Rose s’adapte et sert la mode révolutionnaire. Elle résiste au manque à gagner dû à l’émigration quand son concurrent Beaulard y laisse sa chemise. Mais les libelles ne l’épargnent pas plus que la reine. On l’accuse d’avoir poussé la reine à la dépense, cette image perdurera. Le monde la mode ronronne. Le Grand Mogol fonctionne au ralenti. Les autorités ne s’y attaquent pas, on a peur du chômage. Rose va et vient en Europe et, n’y tenant plus, s’exile en Angleterre en 1793. Elle revient après la chute de Robespierre et récupère ses biens en janvier 1795. Elle ne peut retrouver sa place, il n’y a plus de reine ni de cour. Elle se bat contre une concurrence féroce et travaille de plus en plus pour l’étranger. Et c’est  le couturier Leroy qui prend la clientèle de Joséphine. Bertin est trop chère, trop marquée par la reine, et … Démodée. Elle meurt discrètement en 1813. L’année suivante, Louis XVIII, enfin arrivé au trône, ayant besoin d’un habit de Cour, la fera demander.

Avec ce sixième volume, Perrin enracine sa collection des métiers de Versailles. C’est léger, délicieux, bien illustré avec un beau papier. Aucune concession n’est faite cependant. Les auteurs sont irréprochables de compétence et écrivent de façon appropriée, sans être doctes ou céder à la facilité.


Didier Paineau

(1) Cette thèse a été éditée en 2003 par l'Institut français de la Mode, sous le titre Rose Bertin, Ministre des modes de Marie-Antoinette

Michelle Sapori, Rose Bertin, couturière de Marie-Antoinette, Perrin, "Les Métiers de Versailles", 175 pages, octobre 2010, 19,90 euros


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