"Le 18 Brumaire", Napoléon sort de l'ombre

Reparait en poche un ouvrage couronné par le grand prix de la fondation Napoléon de 1997 sur le coup d’état du 18 brumaire qui a porté Bonaparte au pouvoir en 1799. Son auteur, Thierry Lentz, devenu le directeur de cette même fondation, trois ans plus tard, s’emploie magistralement à tenter de se glisser dans les coulisses du théâtre napoléonien où la légende dorée occupe encore largement la scène. 

Un régime pourri

Lentz commence son ouvrage en analysant le Directoire. Ce régime est mal formé dés sa naissance. Ce sont les lâches soutiens de Robespierre qui l’ont fabriqué à leur mesure.

 Ces hommes de la Plaine renversent l’Incorruptible quand ce dernier les menace. La peur de mourir est plus forte que la peur qu’il leur provoque. Nous sommes à l’été 1794. Les survivants de la Convention mettent en place un système mal pratique qui leur réserve les places sans avoir besoin de repasser, quant à eux, devant les électeurs et, par surcroît, évite le pouvoir personnel. Il y a plusieurs directeurs qui changent très souvent. Ces mêmes hommes se maintiennent par une série de coups d’état, annulant les élections qui les contrarient. Alternativement les députés royalistes puis les Jacobins sont envoyés en Guyane. Bonaparte, ancien proche du frère de Robespierre, participe à la répression contre les royalistes. Il grandit dans l’ombre d’un pilier du régime, Barras. Il y trouve le commandement de l’armée d’Italie et, la place encore chaude,  dans le lit de Joséphine. Le rédime est donc décrié, d’autant plus que la persécution religieuse, qui a fait déraper la Révolution à partir de 1790, reste vive malgré une certaine ambiguïté. La situation économique est mauvaise, l’insécurité  immense. On a du mal à distinguer, en l’occurrence, la part du banditisme pur et simple et la part de la résistance royaliste. La guerre, déclarée en 1792, connait des hauts et des bas. Le pillage des pays occupés participe jusqu’au quart du budget de l’état !

Bonaparte, général et politique !

Napoléon sort de l’ombre avec la campagne d’Italie. Ses victoires sont glorieuses, mais cela ne s’arrête pas là. Il met au point un système de propagande destiné à vanter son image, en créant deux journaux. Il apprend le pouvoir en l’exerçant seul, puisqu’il obtient de Paris qu’on rappelle les commissaires civils qui le suivent… Il n’a pas besoin de « mouchards ». Les personnalités du directoire sont bien convaincues que le régime ne peut pas durer. Plusieurs coteries grenouillent. Bonaparte quitte Paul Barras pour s’acoquiner avec Sieyès et Talleyrand. On le nomme à ; la tête d’une armée d’invasion de l’Angleterre. Il sait le projet vain, dissimule ses ambitions et se grade de se compromettre avec tel ou tel parti. Il prend langue, en secret avec Sieyès, Talleyrand…   Avec l’appui de Talleyrand, il s’oriente, si l’on ose dire, vers l’invasion de l’Egypte, pour nuire à la perfide Albion. Son éloignement n’empêche pas ses partisans de veiller à son image, comme on dirait aujourd’hui… Il revient en catimini et le complot se précise d’autant plus qu’il niche au plus haut de l’Etat. Sieyès a pensé depuis longtemps à un coup d’état, comme traîneur de sabre Bonaparte vaudra bien un Joubert. Bonaparte s’assure du soutien des militaires, Sieyès neutralise le pouvoir politique et Fouché peut phagocyter les Jacobins… Barras se suicide politiquement en voulant cantonner Bonaparte à un rôle militaire et, de toute façon, il est trop lié au régime. 

La suite est connue. Bonaparte perd les pédales au point d’appeler le défroqué Sieyès « général », mais il y a Lucien, son frère président d’assemblée et il y a Murat. Les vieilles moustaches comme Coignet se souviennent avec joie de la volée de moineaux emplumés, des députés s’enfuyant en tous sens devant les soldats… On change de régime, trois consuls se mettent en place et rapidement, le pondeur de constitution Sieyès se trouve mis à l’écart… Comme le suggère l’auteur, Sieyès est l’homme-clef de la Révolution. Il l’ouvre, et il la ferme pour les autres…

Faute de documents

Faute de documents des zones d’ombre subsistent. Comment se fait-il que Bonaparte ait pu rentrer d’Egypte en 1799 ? Talleyrand a-t-il su convaincre les Anglais ou « un » Anglais de le laisser passer ? D’où vient l’argent du 18 brumaire ? Certes Bonaparte n’a pas laissé sa part au chat en Italie. Il y a eu les contributions des parvenus de la Révolution outrés de l’emprunt forcé du Directoire. Cambacérès doit-il à ses relations bancaires d’avocat d’affaires, sa place de consul ?

Une somme précieuse, à lire.


Didier Paineau 

Thierry Lentz, Le 18 Brumaire, Perrin, "Tempus" (1re édition Picollec, 1997), 521 pages, octobre 2010, annexes, index, sources et bibliographie, 11 euros

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