"Les Savants de Hitler, histoire d'un pacte avec me diable"

Un type douteux ?

John Cornwell est un journaliste anglais quelque peu lettré, selon les hâtives bénédictions universitaires. Il est né en 1960. Il a fréquenté le séminaire puis s’en est détaché pour des raisons que ses rapides biographes n’ont pas cherché à expliquer. Après avoir étudié le poète anglais Coleridge, il s’est fait connaître par un ouvrage qui a fait scandale chez les Anglo-saxons : le pape de Hitler, en l’occurrence Pie XII ; Chez nous il a été traduit par le titre bien plus sibyllin du « pape et Hitler ». Ce livre a contribué à diffuser l’image d’un pape antisémite, allié du nazisme, encore appuyée par le film de Costa Gavras sur le même thème. Bien peu ont relayé en France les défauts typiques du journaliste : omissions, approximations, recherche bâclée en dépit de toute rigueur scientifique,  donc erreurs, goût publicitaire du scandale. Cornwell a fait quelque peu amende honorable sur la légende noire de Pie XII qu’il a contribué à entretenir, outre-Atlantique… Il nous rappelle une catégorie de gens assez typique de « peine-à-jouir » du catholicisme, dont il se réclame. Il s’agit de ceux qui obsédés par leur foi n’ont pas réussi à aller jusqu’au bout, éternels rebelles, donneurs de leçons, sont-ils des taons indispensables ? Il serait bien faraud de ma part de donner un jugement quelconque sur une personne que je ne connais pas, un parfum, ou plutôt une odeur me monte au nez, c’est tout.

Mea Culpa

L’ouvrage proposé sur les savants de Hitler se révèle à la fois intéressant et décevant. Il présente en effet les défauts et qualités suggérées plus haut. La qualité principale est  qu’il « se laisse lire » mais il saute du coq à l’âne et ressemble à la devise du Reader's digest… De tout un peu, voire… Trop peu… Je dois être trop cartésien et trop Français, et pas assez « nouvelle cuisine ». « Je m’excuse de vivre » comme dirait une réplique cinématographique « beaufissime », bravache et gauloise s’il en est.

Une problématique un peu faible

Le début de l’ouvrage est un discours visant à nous avertir que les scientifiques ont des responsabilités et que leur sens moral n’est aucunement en  corrélation avec l’ampleur de leurs connections logiques. Ah… On ne le  savait pas !!!! Bon quelques pages de perdues…

Hitler et la science

L’auteur nous dresse un rapide portrait des compétences affligeantes de Hitler. Il ne comprend pas grand-chose à la technique et ses connaissances sont gravement lacunaires. On peut qualifier Hitler d’autodidacte mais il calque un esprit de système sur un bric à brac d’idées puisées par intuition chez des gens, surprenants parfois (son photographe !..), et variables dans le temps. Ainsi son racisme alimenté par Gobineau ou Chamberlain, ignore totalement le mendélisme (lois de l’hérédité). Hitler est un antimoderne, il rejette longtemps les recherches sur la bombe nucléaire ou le réacteur, qu’il qualifie de « produits de la scatologie scientifique juive ». Derrière l’image d’un chef énergique et viril, on découvre un homme souvent indolent, superstitieux, sensible à l’astrologie et à la magie. Les recherches allemandes sous le Troisième Reich vont souffrir du manque de moyens financiers, de dispersion entre des officines qui se font la guéguerre et de la mise à l’écart des scientifiques juifs. Ainsi quand le physicien Max Planck vient-il  plaider la cause de son collègue juif, pourtant patriote, Fritz Haber, Hitler réplique : « si la science ne peut se passer des juifs, nous nous passerons de la science quelques années. »

La science allemande avant Hitler

A l’aube du XXe siècle, l’Allemagne a « le vent en poupe ». Cornwell évoque l’aspect scientifique du phénomène. Les scientifiques teutons dominent la chimie, la physique, l’optique… Citons le célèbre laboratoire Bayer de Munich et l’invention de l’aspirine en 1890. L’auteur s’attache ensuite à un homme Fritz Haber (1868-1934). Ce juif converti au luthéranisme s’identifie totalement à son pays. Chimiste de grand talent (Prix Nobel 1918) met au point les engrais chimiques qui ont permis d’atteindre les six milliards d’habitants sur terre aujourd’hui. Il trouve l’ammoniaque artificielle. En octobre 1914, il est un des signataires du manifeste de Fulda dans lequel d’éminents scientifiques allemands, dont beaucoup de Prix Nobel, apportent leur soutien inconditionnel à la cause de leur pays. Les voix contraires, dont celle d’Albert Einstein, sont bien isolées. Fritz Haber va permettre à son pays de compenser le blocus allié de l’Allemagne, par l’efficacité de la chimie allemande. Grâce à lui, la production d’explosifs réussit à se passer du salpêtre chilien. Son concours ne s’arrête pas là. Le 22 avril 1915, à 17 heures, à Ypres, Haber et ses collaborateurs ouvrent eux-mêmes les cylindres de chlore qui submergent une division algérienne dix minutes plus tard. C’est la débandade… Les troupes allemandes prennent les tranchées sans coup férir et cinquante canons. Haber est déçu. Il voulait une attaque au gaz sur tout le front et pas seulement une expérience… Les militaires allemands sont réticents à cause des vents dominants sur le front, qui leur sont défavorables, et, last but not least, de l’ignominie du procédé. Cette attaque ajoutée au torpillage du Lusitania dégrade l’image de l’Allemagne dans le monde. Les alliés reprennent l’arme à leur compte et justifient la poursuite des recherches de Haber. Je n’ai pu m’empêcher de trouver particulièrement vicieuse son idée de mélanger du gaz irritant au gaz mortel pour forcer les pauvres diables de soldats à arracher leur masque ! Haber reçoit le Nobel en 1918, au grand dam des alliés qui boycottent la cérémonie… Il poursuit ses recherches en douce pour son pays dans les années 20 avant d’être écarté en 1933 et de mourir en Suisse avant d’intégrer vraiment Cambridge qui lui ouvre ses portes…

Celui qui fait des questions, des réponses implacables…

En effet depuis le XVIe siècle, l’affaiblissement progressif de la foi, va de pair avec une comparaison croissante entre les hommes (voir sur le site l’article sur Race et Histoire). Le XIXe siècle foisonne de théories en tous genres s’appuyant notamment sur les travaux de Darwin. En somme, beaucoup se mettent à penser qu’il y a des races supérieures aux autres (avec la vieille ambiguïté entre les mots race et peuple), que les mélanges sont corrupteurs et que le progrès permet, hélas, de conserver en vie des dégénérés dont la reproduction est délétère. Un certain Adolf Hitler pousse dans ce terreau au temps de son errance viennoise. Il n’est pas le seul.

Dès son accession au pouvoir en 1933, les Juifs sont systématiquement écartés de la société, avec une petite exception (dégoûtée) pour ceux qui ont lutté en 14-18 ou peuvent s’en réclamer par père interposé. Un quart des postes se libèrent ainsi en Physique. Les protestations sont rares, assourdies par le bruit des bousculades pour occuper les places devenues vacantes ! Idem en médecine où les praticiens, éprouvés par la crise, ne sont pas mécontents d’être débarrassés de 16% de concurrents… La persécution des Juifs aboutit à la mise en panne, pure et simple, des Mathématiques en Allemagne. Il y a plus fort encore. Etre juif n’est pas tout, on traque aussi l’esprit juif, le « Juif blanc ». C’est ainsi que l’on persécute le physicien Werner Heisenberg, prix Nobel. Pour contrer ce phénomène, maints scientifiques latitudinaires font des efforts intellectuels intenses pour nazifier leur domaine de compétence, jusqu’à l’absurde, et acquièrent ainsi la gloire éphémère du courtisan : Jordan en Physique, ou Bieberbach en Mathématiques… On en arrive à des paradoxes parfaitement représentés par le cas de L. Meitner. Cette chercheuse de talent ne peut plus chercher en tant que juive,  mais ne peut pas partir du pays car talentueuse… Tout s’explique, comme pour le génie d’Einstein… Il y a bien une goutte de sang aryen qui coule quelque part chez un Juif, et qui sublime l’ensemble ! Sinistre romantisme…

Sinistre romantisme et amateurisme de Himmler qui cherche à trouver une théorie qui explique l’ensemble du réel : Welteislebre, qui mêle génétique, géopolitique, histoire, physique, astrologie, sciences occultes, dans des recherches aussi dispersées qu’onéreuses, aussi sottes que sanglantes à mesure que la fin approche.

Machine de cryptage Enigma

Un arrière boutique bien pitoyable

Toutes les recherches scientifiques sous le IIIe Reich semblent avoir les mêmes travers. Tout d’abord, cela peut paraître étonnant, il n’y a pas de tête. En fait, la tête, Hitler, est sujette à des lubies et se nourrit de courbettes. À partir de là, l’administration, les grandes familles riches, l’armée avec sa caste prussienne toujours vivace, le parti nazi avec la SS de Himmler, se disputent et bien des efforts sont perdus. On parle pompeusement de polycratie. La production du matériel de guerre est un tel désordre qu’une division blindée entre en campagne, en 1941, avec 96 types différents de transport de troupes, 111 types de camions ! L’immensité des distances et l’état des routes auront tôt fait de transformer le problème des pièces détachées en drame insoluble ! L’avion à réaction ME 262 n’est produit qu’en 1942, trois ans après son premier essai réussi, trop peu, trop tard… Tout est ainsi à l’avenant, le radar, le « cassage » des codes alliés, la bombe atomique. Ce dernier projet, confié à Heisenberg, persécuté par les nazis pour son esprit « juif blanc », n’avance pas alors que c’est l’Allemand Otto Hahn qui a, le premier, réussit la fission nucléaire en 1938. Le physicien est certes un théoricien peu apte à l’expérimentation, mais son enthousiasme est plutôt frais et les moyens alloués par le ministre Speer pitoyables. La comparaison entre le site de Los Alamos où Oppenheimer met au point la bombe américaine et le site allemand d’Haigerloch, illustre la différence qu’il y a entre le bricolage et l’industrie. Les Américains ont la certitude que les Allemands n’auront pas la bombe, dès 1943 (un certain alibi tombe !)… Les recherches de Von Braun sur les fusées et le résultat, finalement marginal, des V1, V2, A4, absorbent toutes les énergies disponibles et profiteront … à la NASA ! Trop de dispersion, trop de désordre et trop d’orgueil, consécutif de la certitude de la supériorité raciale ; ce dernier point est parfaitement remarquable dans l’affaire de la machine Enigma. Cette machine, inventée par Scherbius en 1927, sert à crypter les informations. Il y a des milliards de combinaisons possibles. Les Anglais et les Américains s’y cassent les dents. C’est un sous-homme de Polonais, Rejewski, qui réussit et la « ficelle » passe des Français aux Anglais…

L’indignité conduit les nazis à faire toutes sortes de recherches médicales, ignobles et inutiles, sur des nains, des jumeaux… On inocule des maladies à des pauvres types, on fait mourir de froid des Russes, sans aucun résultat pour les soldats allemands du front qui  souffrent. On stérilise les malades mentaux (400 000 entre 1934 et 1944) ou on les euthanasie. On se souvient de Josef Mengele, bien sûr, mais pour un Mengele, combien de scientifiques qui ont trempé dans le système et ont fait des carrières plus qu’honorables après la guerre, en Allemagne ou au service des deux Grands ? La course aux armements de la Guerre Froide s’est en partie appuyée sur eux. Les deux Grands ont largement puisé dans le matériel et le cheptel scientifiques allemands pour satisfaire leur ambition hégémonique.

Un sujet d’inquiétude…

En quelques pages, Cornwell nous brosse le portrait d’une science au service des états, depuis 1945 en passant par le 11 septembre 2001… Pour conclure comme il a commencé, et un peu rapidement, par Rabelais : « science sans conscience, n’est que ruine de l’âme ». Je crains que la fin du livre ne soit qu’un début… Le retard « humaniste » par rapport aux prouesses techniques actuelles est une antienne, que notre époque noie sous un confort matériel qui se lézarde mais sert encore de gaine à la prostitution du mot « liberté ». Pour en finir, si c’est au niveau des pieds, on a toujours besoin d’un chausse-pied pour enfiler ses chaussures et avancer.


Didier Paineau

John Cornwell, Les Savants de Hitler, traduit de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat,  Albin Michel, novembre 2008, index ad hominem, bibliographie, 503 pages, 24 euros

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