"Je suis partout", l’histoire d’un journal et d’une équipe

Des journaux naissent et meurent tous les jours (en ce moment, en France, ils auraient plus tendance à mourir qu’à naître), et il est bien rare que leur disparition suscite une nostalgie, voire de simples souvenirs, au-delà de la génération qui l’achetait ou y était abonnée. Tel n’est pas le cas de l’hebdomadaire Je suis Partout. Ce journal a disparu dans la tourmente de l’épuration de 1944. Il reste pourtant une référence. Bien plus, il suscite une forte demande de possibilité de lecture. Or il y a peu de collections de Je suis Partout qui soient accessibles. D’où l’intérêt tout particulier de l’Anthologie Je suis Partout 1932-1944, des textes qui avaient été publiés par ce journal avant la guerre et pendant l’occupation, compilation de plus de 600 pages proposée par la jeune maison d’édition Auda Isarn, avec une préface de Philippe d’Hugues.

 

L’histoire de la redécouverte de Je suis Partout avait commencé en 1973 avec Pierre-Marie Dioudonnat. Cet universitaire avait rédigé sa thèse sur le journal créé par les éditions Fayard, sous l’égide de l’historien Pierre Gaxotte. La thèse était devenue un livre – remarquable et remarqué – publié par La Table ronde dans la collection Mouvements d’idées. Que nous révélait cet ouvrage ? La grande hétérogénéité des équipes successives qui avaient fait le succès de l’hebdomadaire. Mais aussi la capacité d’un Gaxotte ou d’un Brasillach à fédérer les talents. Des talents singuliers, largement occultés depuis la fin de la guerre.

 

Quelques années plus tard, Dioudonnat renouvelait son exploration de Je suis Partout, avec un précieux ouvrage de référence intitulé Les 700 rédacteurs de Je suis Partout 1930-1944. C’était une vraie surprise : la découverte que 700 journalistes et hommes de lettres avaient participé à la rédaction de l’hebdomadaire qui, en 1944, compta quand même le plus grand nombre de condamnés à mort ! Et parmi ces 700 rédacteurs, on ne trouvait pas que des seconds couteaux de la collaboration. Les meilleures plumes de la littérature française : les Jacques Perret, La Varende, Anouilh, Marcel Aymé, René Barjavel, Jacques Bainville, Jean Giraudoux avaient choisi ce journal pour y publier des nouvelles, des articles, voire des romans en feuilletons. Et Céline lui-même y était allé de quelques lettres pas piquées des vers !

 

L’Anthologie qui vient de paraitre va plus loin encore. Nous savions, depuis Dioudonnat, mais déjà bien avant lui, que Gaxotte, Brasillach et Rebatet avaient beaucoup de talents. Nous le savions par Comme le temps passe, par Notre  avant-guerre ou par Les Deux Étendards et Une Histoire de la musique. Maintenant nous le savons par leurs articles politiques, écrits à chaud. Mais surtout nous découvrons avec plaisir la verve éblouissante d’un P.A. Cousteau, d’un Alain  Laubreau, d’un Charles Lesca, d’un Henri Lebre, d’un Claude Jeantet, les dessins d’un Ralph Soupault, d’un Hermann-Paul. Des auteurs et dessinateurs trop oubliés aujourd’hui.

Déjà l’an dernier (chez Pardès), Philippe d’Hugues, avec ses Quatre ans de cinéma (1940-1944) à Je suis Partout, nous avait présenté l’autre face de Lucien Rebatet : celle du critique cinématographique prestigieux. La présente Anthologie nous révèle ce que nous susurraient nos anciens : Je suis Partout fut le creuset d’un grand nombre de talents. Et il y a une foule de textes à redécouvrir.

Bien entendu on se souviendra que Brasillach finit par quitter la rédaction, ne voulant pas cautionner un discours sur la guerre : de plus en plus déconnecté de la réalité, lui qui avait combattu pendant toute sa (trop) brève carrière de journaliste les bobards du politiquement correct de l’époque. Mais relues soixante-dix ou quatre-vingts années plus tard, ces pages dégagent un talent inouï. Comme Céline, comme Les Décombres, il faut du recul pour en apprécier le sel, quand l’odeur de la poudre et du sang en masquait un peu le goût.

 

Francis Bergeron

 

Je suis Partout, Anthologie (1932-1944), préface de Philippe d’Hugues, éditions Auda Isarn, février 2012, 650 p., 30 €

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