"L'Extrême-Orient : l'invention d'une histoire et d'une géographie"

Pourquoi les occidentaux ont-ils été toujours fascinés par l’Extrême-Orient ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que l’Extrême-Orient ? Qu’est-ce que l’Orient ? Qu’est-ce que l’Asie, même, sinon une construction intellectuelle, culturelle et géographique des occidentaux ? Les géographes et voyageurs européens ont forgé eux-mêmes l’objet de leur propre fascination. Telle est du moins la conviction de Philippe Pelletier dans cet ouvrage-parpaing qui respire la passion et l’érudition. 

On oublie trop souvent que le monde dans lequel nous vivons ne s’est pas divisé en zones géographiques tout seul et que ces zones ne se sont pas nommées elles-mêmes. 

Des origines à nos jours, l’auteur mêle l’histoire et la géographie, fait appel aux grands voyageurs occidentaux et orientaux, ainsi qu’aux cartes plus ou moins précises nées de leurs périples. Peu à peu, la signification des mots Orient, Occident, Asie, se fait plus claire aux yeux du lecteur qui sera surpris d’apprendre que les appellations « Chine » et « Chinois » ne sont devenues officielles que très tardivement dans l’esprit de ces derniers (au XXe siècle). Pelletier raconte le découpage progressif, intellectuel et politique, de cet « autre ». Evidemment, il insiste beaucoup sur la perception qu’ont les occidentaux des asiatiques (et vice-versa) mais il ne néglige pas non plus de mettre en perspective la perception des asiatiques par eux-mêmes, que ce soit entre entités géographiques ou au sein d’un même pays. La Corée pouvait bien être « l’angle mort » de l’Asie et Cipango (le Japon) la terre promise pour les Européens, il ne faut jamais oublier que le regard que chacun de ces pays asiatiques avait sur les autres a beaucoup changé au grès des ouvertures et fermetures diplomatiques, participant à une construction identitaire spécifique. 

un outil essentiel pour étudiants en histoire ou géographie

Pelletier fait appel à une multitude de géographes mais aussi à des philosophes. Weber, Hegel, Kant, Marx… viennent donner leurs points de vue que l’auteur réfute, affine ou valide. Il est vrai qu’entre les innombrables références historiques et la liste infinie des concepts géographies, sociologiques ou philosophiques auxquels il fait référence dans une langue très universitaire, Pelletier endort un peu le lecteur néophyte. Mais certaines parties apparaissent nettement plus abordables que d’autres, comme ce chapitre intitulé « Le tournant géopolitique » qui narre avec intelligence les bouleversements historiques qui eurent lieu sous les règnes des japonais Nobunaga et Hideyoshi. D’autres plaisantes découvertes rythment cet ouvrage a priori un peu aride : comme l’origine japonaise du mot « Tycoon » ou encore comme l’importance de la pêche à la baleine dans le processus d’ouverture forcée du Japon au commerce international à la fin du XIXe.  

Lorsque l’on referme le livre de Philippe Pelletier, on ne peut s’empêcher de se demander qu’elle a été la logique de l’éditeur pour faire paraître cet ouvrage en poche. Car L’Extrême-Orient est une telle somme, un tel recueil de connaissances, qu’il apparaît plus comme un outil essentiel pour étudiants en histoire ou géographie que comme un livre destiné au grand public. 


Matthieu Buge


Phlippe Pelletier, L'Extrême-Orient : l'invention d'une histoire et d'une géographie, Gallimard, « Folio Histoire », septembre 2011, 888 pages, 12 € 


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