Une bonne biographie pour néophytes sur "Leclerc", mais qui décevra les autres

« Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg ! » 
(serment de Koufra, 28 février 1941)

La vie de Philippe, comte de Hauteclocque, dit Leclerc (1902-1947), au-delà de compléter les pages de l’histoire de France, est surtout devenue une légende. L’homme connu pour son inoubliable serment de Koufra après la prise du fort tenu dans le désert libyen par les Italiens est le symbole de la résistance française de l’extérieur incarnée par les FFL (Forces Françaises Libres). Capitaine d’état-major à la 4e division d’infanterie près de Lille, il a refusé, dès la Débâcle, l’humiliante défaite en préférant l’appel du général de Gaulle le 18 juin. Cet aristocrate, d’origine picarde, pour qui rien n’est impossible, est convaincu d’avoir à ses côtés la providence divine et il forgera à la tête de ses hommes, organisés dans ce qui deviendra, non sans difficulté, la mythique 2e Division Blindée, les premières étapes de l’honneur retrouvé de la patrie depuis les spectaculaires conquêtes du Cameroun, du Tchad et du Fezzan libyen jusqu’aux péripéties de la libération de Paris et de Strasbourg.

L’enquête minutieuse sur les causes de l’accident aérien en Algérie, près de Colomb-Béchar, qui a coûté la vie au général et à douze autres occupants est sans doute la partie la plus novatrice de l’ouvrage en comparant la thèse officielle aux explications techniques plus plausibles et en faisant taire les histoires de complot nées très tôt après le drame. L’avion, un B-25 Mitchell, pris dans une météo exécrable, a pu pâtir selon l’auteur des modifications apportées à l’appareil pour accueillir des passagers et déséquilibré à l’arrière, il n’aurait pu échapper à un tragique phénomène de vrilles alors qu’il volait à basse altitude. Inhumé aux Invalides, Leclerc a été élevé, à titre posthume, à la dignité de Maréchal de France.

Le livre de Jean-Christophe Notin est remarquable ou décevant, selon le point de vue que l’on adopte. Pour tous ceux qui ne connaissent pas suffisamment Leclerc, en dehors des boulevards, avenues ou ronds-points qui lui ont été consacrés par la postérité, après son fatal accident d’avion en 1947, ils doivent bien reconnaître à l’écrivain des qualités de conteur qui savent captiver leur attention plus aisément que beaucoup d’ouvrages historiques, de facture davantage académique. Jean-Christophe Notin n’est pas à ranger dans la famille des historiens mais plutôt dans celle des « romanciers militants ». Cette dernière formule ne veut pas abaisser l’extraordinaire travail d’érudition de l’auteur comme en témoigne les nombreuses archives consultées et dont la très longue liste figure en fin d’ouvrage. Le recueil des témoignages est également impressionnant et rend très vivant le rappel des événements et le parcours hors du commun du général. L’objectif de l’écrivain est de poursuivre, avec succès, son combat contre l’oubli en publiant depuis plusieurs années des ouvrages consacrés aux figures connues et inconnues de la résistance française (1061 compagnons, 2000 ; La Campagne d’Italie, 2002 ; Le Général Saint-Hillier, 2009).

S’il peut déplaire un public plus averti, c’est que le grand défaut de l’ouvrage est l’absence d’un exposé scientifique sur la période, les différents acteurs, l’opinion française et ses rapports avec la Résistance ou les sociétés des colonies traversées par le général Leclerc et ses troupes (1). Les concepts universitaires et l’historiographie mis volontairement de côté pour offrir le maximum de fluidité à la biographie, le livre possède plutôt les charmes du roman journalistique « mieux armé » pour accompagner la chevauchée fantastique de la 2e DB, en nous régalant de croustillantes anecdotes sur les coups de sang du général, les dialogues savoureux avec ses chefs ou ses subordonnés ou les initiatives pleines de panache et de détermination de ce digne héritier du chevalier Bayard.

Si le métier de Jean-Christophe Notin n’est donc pas celui de l’historien, on ne peut cependant que conseiller l’agréable lecture de son livre rendant hommage à une certaine idée de la patrie et à l’un de ses plus grands militaires qui « demeure l’incarnation d’une France qui, rassemblée, peut tout entreprendre. A côté de la "madone aux fresques des murs" chère à de Gaulle figurera ainsi à jamais un jeune chevalier picard qui ne savait pas se résigner. »


Mourad Haddak

(1) Sur ces points, voir le Dictionnaire historique de la Résistance, sous la direction de François Marcot, avec la collaboration de Bruno Leroux et Christine Levisse-Touzé, éditions Robert Laffont, collection « Bouquins », 2006.


Jean-Christophe Notin, Leclerc, Perrin, « Tempus », mai 2010, 832 pages, 12 € 

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