Analyse synthétique des "Réformes : Luther, Calvin et les protestants" par Olivier Christin

L’historien Olivier Christin, directeur de l’université Lumière-Lyon 2, spécialiste du protestantisme et des liens entre art et violence au XVIe siècle (1), nous propose dans une réédition parue chez Gallimard, dans la belle collection « Découvertes Histoire », un ouvrage synthétique, instructif et soigneusement illustré sur le siècle des Réformes religieuses qui a profondément divisé l’Europe.

C’est un défi difficile que de prétendre embrasser un siècle de « mutations » et de troubles dans un format aussi court. C’est pourtant le pari réussi de son auteur qui parvient, sans ôter de l’intelligibilité aux évènements et sans négliger ses nombreux acteurs (individus, villes, paysans, universités, académies…), à en donner les principales clefs de compréhension. Pédagogique, Olivier Christin remonte aux origines de la Réforme (2), en commençant par les interrogations inquiètes du Moyen Âge jusqu’aux conséquences de l’humanisme. Il fait ensuite, et à juste raison, deux chapitres séparés sur la Réforme luthérienne et l’expansion du calvinisme qui débouchent en fin d’ouvrage sur la « riposte catholique » et le « temps des troubles ».

« Rénovation intérieure ou réforme ? »

Bien que les professeurs, depuis de longues années, enseignent dès le collège que la Réforme n’est pas née des travers de l’Eglise à la fin du Moyen Âge, la thèse fait toujours florès grâce à sa simplicité. Pourtant, Lucien Febvre (3), l’auteur d’une biographie qui a fait date sur Luther en 1928, avait bien démontré que l’origine des mutations religieuses du XVIe siècle n’était pas à chercher dans les abus (habilement mis en avant par la littérature et les dessins protestants à cette époque se moquant des mœurs scandaleuses d’un clergé « accusé de danser, de jouer, de se battre, de boire, de prendre des concubines ») mais dans des questions proprement religieuses qui trouvent sens dès les malheurs des temps (4) de « l’automne du Moyen Âge » (Johan Huizinga). Il faut rappeler l’ininterrompu cortège des morts (consécutifs à la concomitance des pestes, guerres et famines), les crises politiques (les divisions de la papauté notamment) ou le retour des hérésies (les Lollards en Angleterre, les Hussites en Bohême) qui ont fortement marqué les contemporains. La spiritualité inquiète, si présente dans l’art (danses macabres, scènes de la Passion), rencontre une Eglise peu réactive, incapable de proposer des réponses efficaces et de contrôler la multiplication des intercesseurs ou l’accumulation des indulgences « avec lesquelles, écrit Olivier Christin, les chrétiens croient obtenir des assurances pour eux et pour leurs morts afin de raccourcir leur séjour au purgatoire. » Pourtant, nombreux sont dans l’Eglise à parler de « réforme » nécessaire mais personne ne s’entend sur la manière de procéder. L’apparition du livre, le développement d’une piété plus individuelle et mystique dans l’espace rhénan (Devotio moderna) et la critique humaniste, avec Lefèbre d’Etaples ou Erasme, qui publie de nouvelles traductions de la Bible débarrassées « des scories et des gloses afin de retrouver le texte primitif » encouragent le mouvement vers le « pur Evangile » ou l’évangélisme.


Luther et Calvin 

Moine allemand, augustin zélé mais inquiet par la question du salut, Luther est celui qui donne une identité, une autonomie et un destin à la Réforme. Opposant sévère au pape Léon X et aux indulgences qui servaient à payer la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome, il affirme dans ses « 95 thèses », en 1517, que seule la foi peut sauver l’homme qui ne peut faire le bien parce que profondément corrompu (thèse qui va l’écarter d’Erasme). Hostile au clergé, il traduit la Bible en allemand pour que le peuple puisse la lire directement. Excommunié quatre ans plus tard, il fonde une nouvelle Eglise qui ne reconnaît que deux sacrements : le baptême et la communion et permet le mariage des pasteurs protestants, élément qui fournira le miel aux critiques acerbes des catholiques (5). La réussite de Luther doit beaucoup à l’imprimé, à l’efficacité des prêches de ses disciples et surtout au contexte politique et social en Allemagne où une partie des élites et de nombreux princes lui accordent son soutien par opposition à la papauté et au nouvel empereur Charles Quint. Outre l’Allemagne du nord, le Danemark, la Norvège ou la Suède sont aussi les terres de l’expansion du luthéranisme.

Jean Calvin (on commémore cette année le cinq-centième anniversaire de sa naissance), d’origine française, a grandi en Picardie mais c’est dans les cantons helvétiques que ses idées vont alors se diffuser pour donner un second souffle au protestantisme. Gagné aux idées de Luther et de Zwingli, cet écrivain infatigable doit s’exiler en Suisse après l’affaire des Placards en France, en 1534 (des affiches injurieuses contre la messe avaient été apposées à Paris ou dans la région de la Loire, y compris sur la porte de la chambre du roi de France, François Ier). S’ajoutant à son rejet profond de l’idolâtrie des images et reliques, l’auteur de L’Institution de la religion chrétienne (1536) ne reconnaît pas, contrairement à Luther, la présence substantielle du sang et du corps du Christ dans la cène.

« Le corps du Christ est éloigné du pain et du vin autant que le plus haut du ciel est rapproché de la terre. »

Dans son Traité sur la prédestination (1552), il précise sa pensée en affirmant « que Dieu choisit de toute éternité les élus comme les réprouvés » (Olivier Christin). Et de Genève, il en fait une nouvelle Rome en mettant en place une Eglise à la fois communautaire et indépendante du pouvoir politique. C’est Calvin qui assure l’expansion la plus grande du protestantisme : aux Pays-Bas, dans le sud de la France, en Angleterre, avec les Eglises dissidentes, davantage que l’anglicanisme, religion d’Etat et en Ecosse.

La Contre-réforme : la réaction catholique

Progressive, cette dernière se déploie surtout dans les années 1540-1550 avec le rétablissement des tribunaux de l’Inquisition (les protestants sont alors considérés comme hérétiques), la naissance de l’ordre religieux des jésuites ou Compagnie de Jésus de l’espagnol Ignace de Loyola qui met l’organisation au service du pape Paul III pour promouvoir l’éducation de la jeunesse dans des collèges qui essaiment dans les terres catholiques. Surtout, un concile se réunit à Trente en Italie (1545) qui réaffirme les croyances catholiques, oblige les évêques et les prêtres, après une formation dans les séminaires, à demeurer près des fidèles et à ne pas cumuler les bénéfices. Si la réforme catholique échoue là où son adversaire a réussi à s’implanter, dans les autres régions, la pratique de la religion devient plus sincère et mieux encadrée tandis que de nouvelles églises sont construites dans l’élan de l’art baroque mis au service de la reconquête des esprits.

« Le temps des troubles »

La propagande ne suffisant pas à imposer l’un des deux camps, à une époque où la tolérance est rendue presque impossible dans la durée par le principe du cujus regio, ejus religio (un prince, une foi), la tentation a été grande d’utiliser la violence pour rétablir l’unité de la foi perçue comme vitale pour la stabilité du corps politico-social et le salut des âmes. Avec les dissensions religieuses et la faiblesse de l’Etat, notamment en France, aux Pays-Bas et en Ecosse dans les années 1560, une partie de l’Europe sombre alors dans les guerres de religion et les persécutions.

De nombreuses pages sont consacrées dans le livre d’Olivier Christin à « la saison des Saint-Barthélemy » en France : environ dix-mille huguenots (terme dérivé peut-être de l’allemand Eidgenossen ou confédérés) ont trouvé la mort à la suite de massacres commencés à Paris, dans la nuit du 23 au 24 août 1572 (immortalisée par la célèbre gravure de François Dubois). Henri de Navarre, contrairement à l’amiral de Coligny et ses principaux lieutenants sauvagement assassinés sur ordre du Conseil royal, ne doit la vie sauve qu’à son abjuration du protestantisme alors que la capitale française célébrait quelques jours avant, avec faste, son mariage avec Marguerite de Valois. On s’interroge encore sur les causes de la Saint-Barthélemy, l’une des dates fondatrices de l’histoire de France (6).

L’ouvrage se termine comme les autres livres de la collection par la présentation de larges extraits de témoignages et documents historiques. Parmi eux, Olivier Christin a choisi quelques textes d’historiens qui ont alimenté l’historiographie depuis le Prussien Léopold Van Ranke au XIXe siècle, mettant en avant le rôle de Luther et de l’Allemagne dans le succès du protestantisme jusqu’à Pierre Chaunu (L’Aventure de la Réforme, 1986) invitant à reconsidérer la question du Salut. 

Seul regret, expliqué sans doute par les contraintes éditoriales, c’est l’absence de synthèse historiographique qui aurait mérité une page d’introduction ou de conclusion à part entière tant les débats sont nombreux sur les origines ou les conséquences de la Réforme. On aurait ainsi attendu les réflexions de l’historien allemand Hans Shilling contestant la vulgate d’un Luther modernisant de force l’Eglise en proposant plutôt l’idée inverse d’une modernisation en cours de Rome qui préparerait le terrain au moine augustin. On aurait également apprécié une rapide mention des thèses économiques (Henri Heller), politiques (Joël Cornette et la « confessionnalisation ») ou culturelles (Denis Crouzet et « l’angoissement collectif ») qui renouvellent l’analyse de la Réforme.
 
Pour autant, dans ce livre bien écrit, offrant l’essentiel de la connaissance historique sur les mutations religieuses du XVIe siècle en Europe, on ne saurait que conseiller sa lecture agrémentée de remarquables illustrations et commentées avec soin.


Mourad Haddak

(1) Il est l’auteur d’un ouvrage important sur les « briseurs d’images » protestants, l’un des aspects les plus marquants des tensions religieuses : Une révolution symbolique : l'iconoclasme huguenot et la reconstruction catholique, Paris, Éditions de Minuit, 1991.

(2)  Dans un article du traité de Beaulieu en 1576, on trouve pour la première fois l’expression de « religion prétendue réformée » si utilisée dans l’espace catholique. C’est au XVIIe siècle que le terme de Réforme est utilisé pour désigner la nouvelle religion. 

(3) Une question mal posée : les origines de la Réforme française et le problème des causes de la Réforme, 1929.

(4) Jean Delumeau et Yves Lequin (sous la direction), Les Malheurs du temps, Larousse, 1987.

(5) « Qui s’est défroqué pour être paillard, sous la courtine du mariage ? Qui a, par sacrilège, tiré de l’enclos sacré une religieuse pour la faire effrontée putain ? » (d’après le jésuite Richeome cité par Olivier Christin). La femme de Luther est une ancienne nonne.

(6) Voir la brillante étude d’Arlette Jouanna, La Saint-Barthélemy, parue en 2007 chez Gallimard.



Olivier Christin, Les Réformes, Gallimard, "Découvertes Histoire", n° 237, mars 2009 (réédition, 1995), 160 pages, nombreuses illustrations, 13,90 €

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