"La Bataille de Nancy" de Quentin Debray

Une des plumes d’une famille d’oiseaux

Il existe des familles d’écrivains, les Daudet par exemple, avec Alphonse mais aussi Ernest, le frère et les fils Léon ou Lucien… Quentin Debray appartient à ce type de famille. Il est le fils du fameux Pierre Debray-Ritzen, médecin et écrivain… Quentin est aussi médecin et romancier. Il est professeur de psychiatrie à Paris V et chef de service à l’hôpital… Autant dire tout de suite que l’on ne va pas lui contester la profondeur des personnages de son ouvrage !

Quentin Debray s’est lancé dans la littérature en 1998, en écrivant un roman napoléonien qui a obtenu une sélection pour le prix Goncourt et les éloges de François Nourissier ou de Jacques Laurent. 

La mélancolie de Delacroix

Nous commençons l’aventure dans l’atelier du peintre Eugène Delacroix en 1830. C’est la révolution des Trois Glorieuses, le dernier frère de Louis XVI est contraint de prendre le chemin de l’Angleterre (curieuse terre d’exil, il doit s’agir d’une expiation…). Le tableau patriotique de la bataille de Nancy, commandé par un ministre de Charles X n’intéresse plus que la municipalité lorraine. À cette fameuse bataille, le duc de Bourgogne fut vaincu et trouva la mort dans des circonstances mystérieuses ; Un jour de 1477. Delacroix est « chiffon », il erre dans Paris, le peuplant de ses impressions. Il passe en revue les arts, Dumas, Hugo, Gautier, Walter Scott, puis Tiepolo pour la peinture ou le Tintoret, puis Rossini, puis tout bascule. Eugène Delacroix décide d’écrire son roman. L’idée est judicieuse, on connaît le violon d’Ingres, mais moins le journal de Delacroix. Certains artistes ont taquiné autre chose que l’art pour lequel ils sont célèbres. Delacroix aurait bien pu écrire l’Eclair de la lance.

Un roman historique dans le roman historique

Un roman historique naît dans le roman historique. Nous suivons à présent Adhémar d’Osne, un de ces guerriers sans aveu qui vivent de rapines et de violences dans le désordre de la fin du Moyen Age. Avec sa bande il écume les banlieues de la guerre, plus charognard que prédateur. Il tue ce qui est presque mort, il pille, il viole. Mais c’est un violent qui regarde et qui vibre, ce qui excuse tout selon certains. Il voit, sent et ressent. Son destin le conduit à la garde écossaise de Louis XI. On lui fait une proposition qu’il ne peut pas refuser (à lire avec l’accent sicilien), justifiée par des arguments machiavéliens (cela fleure bon la Renaissance qui se profile avec des hommes tels que le roi). « Vous ne valez plus rien parce que vous êtes les seuls à vous accorder votre valeur » explique Lesly, chef de la garde royale et il leur impose le choix de la cause du roi, le sens d’un puissant. Après tous les désordres, c’est peut-être ce qui reste à la condition humaine. Adhémar est donc recruté pour des opérations spéciales comme on dirait aujourd’hui. Il doit entacher la réputation du duc de Bourgogne en amplifiant les dégâts faits par ses soldats encouragés par son emportement. On croise quelques épisodes fameux de l’Histoire de France, comme la défense de Beauvais où Jeanne Hachette s’illustre. Vient l’Amour avec Solène, cette saison puisque l’on est faible. Vient Charles le Téméraire qui reçoit son coup de lance fatal, à Nancy. Vient l’oubli que Louis XI demande à son chroniqueur Commynes.

Un gourmet des mots et des sens

Le livre de Quentin Debray est remarquablement ouvert en ce sens qu’il creuse un sillon qu’il nous laisse tout loisir de continuer. On ne le termine pas et on le savoure car l’auteur est un gourmet des mots. Armez vous d’un dictionnaire pour chercher : « crapoussin », « guimpe », « radassière », « guéret »… Il y en a un paquet ! N’allez pas imaginer qu’il soit précieux non plus. Il y a des précieux ignorants comme il ne suffit pas d’être pauvre pour être honnête. Les impressions sont puissantes et donc les mots « Fauchon » nécessaires. Les niveaux de lecture sont passionnants : florilège d’impression, comparaison de Delacroix et d’Adhémar… À vous de jouer !



Didier Paineau


Quentin Debray, La Bataille de Nancy, Editions du Rocher, janvier 2007, 205 pages, 18 € 

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