La troupe militaire et criminelle de Dirlewanger, "Les Chasseurs noirs"

Une étude d’unité militaire riche de réflexion

La monographie sur des unités militaires est un genre passé de mode mais revient au goût du jour depuis quelques années sur un mode plus scientifique. Le questionnement a changé, l’examen des sources est plus rigoureux sans être pesant. Cet ouvrage de Christian Ingrao, professeur à Polytechnique et à l’IEP, propose l’étude de l’unité spéciale SS d’Oskar Dirlewanger formée en 1940.

Une troupe militaire originale

L’unité est composée d’une cinquantaine d’hommes, tous condamnés pour délit de chasse. Elle est affectée dans le sud est de la Pologne. Sa mission est de sécuriser le territoire afin que sa « germanisation » se passe sans entrave. L’absence totale de pertes permet de penser que les partisans ne devaient pas être bien actifs… Alors que font les soldats de Dirlewanger ? Surveillance, lutte contre le marché noir… C’est l’alibi qui permet à l’unité de se livrer à des malversations de toutes sortes, au point d’en faire « rougir » des autorités peu amènes à l’égard des Juifs et des Polonais. La protection de G.Berger, grand dignitaire de la SS, permet de bloquer les procédures judiciaires mais l’unité doit être déplacée en janvier 1942.

La seconde mission est plus délicate. L’arrière du front doit être sécurisé. La Biélorussie compterait environ 23000 partisans. Dirlewanger participe à de grandes opérations de ratissage. Les effectifs du commando augmentent, il devient un bataillon de 750 hommes, mélangeant braconniers et auxiliaires russes. Les activités ne manquent pas, élimination des ghettos juifs, attaques de camps de partisans, déportation de populations entières à partir de 1943. Elles ne sont pas vraiment dangereuses pour les SS : 15000 victimes pour 92 pertes dans leurs rangs ! 

Des chasseurs aux criminels

Le profil de la troupe change de plus en plus. On incorpore de force des « asociaux » ramassés dans les camps de concentration : voleurs, criminels, psychopathes, débiles légers… Le commandement doit procéder à des exécutions sommaires pour maintenir la cohésion. Dirlewanger ne cesse d’intriguer pour augmenter la taille de son unité, améliorer son équipement. Elle devient brigade. Chassée de Biélorussie par l’attaque soviétique, elle participe en août 1944 au nettoyage du ghetto de Varsovie. Elle éprouve de terribles pertes (75% !) et se distingue par son extrême violence. Slovaquie, Allemagne, les dernières recrues sont des communistes sortis des camps ! La brigade se dissout dans les derniers combats, les désertions sont massives.

Un chef charismatique

L’auteur se penche sur le cas Dirlewanger. C’est un marginal. Combattant de la Première Guerre, il continue en Espagne avec la légion Condor et reprend du service en 1940. Il aime la guerre et comme bien des hommes de sa génération se trouve inapte à la vie civile. Sa vie est un perpétuel combat, au côté des corps francs, avec les nazis dés 1923, dans la SA, à l’université… Il est plusieurs fois condamné pour violence, et ruine sa carrière de cadre nazi pour malversations et détournement de mineure… Et, cependant, grâce à ses intrigues, à ses appuis, il réussit à revenir, à faire effacer ses condamnations et à terminer officier général, à sa mort en juin 1945. Auprès de ses hommes il passe pour un homme droit, d’un courage incroyable au feu, il est charismatique. Bon vivant, trop d’alcool et de femmes, orgiaque et tyran de son unité, Dirlewanger est un lansquenet égaré au XXe siècle. Les exécutions sommaires de ses propres soldats ne manquent pas et augmentent en même temps que la guerre devient plus désespérée pour les Nazis.

Le Sang Noir

Himmler était un grand amateur de chasse, contrairement à Hitler. Toutes les armées ont cherché à utiliser les compétences des chasseurs. La constitution de l’unité Dirlewanger participe de cette volonté. Elle va plus loin, plongeant ses racines dans la mythologie nordique. On utilise l’Homme Sauvage, plus proche du gibier que de l’Humanité, celui qui est submergé par son « Sang Noir », celui de la bête et qui doit s’épancher d’une façon ou d’une autre. La notion de violence y perd de son sens. En cela la troupe du fameux lansquenet ne peut être que marginale, nécessaire et infréquentable. Elle obéit à un instinct de l’appel du sang. On lui sait sadisme, violence gratuite, chosification de l’humain. Elle a inventé un procédé de déminage très original en Biélorussie : faire marcher des civils en rangs serrés dans les champs de mines. Elle a bien économisé des munitions en brûlant vif les populations de villages entiers. A Varsovie, la troupe charge sans chercher à se protéger. Ce n’est que torture (notamment de la femme, matrice de l’ennemi), destruction, massacre, profanations… L’analogie avec le gibier revient dans les discours. Le partisan, l’ennemi en général est tellement sauvage qu’il justifie la violence qu’on lui fait. L’humain est classé en trois catégories, le familier (telle servante juive esclave sexuelle), le domestique (tel village sûr dont la population est utilisée pour l’effort de guerre que l’on brûle si elle menace de retourner à l’état sauvage représenté par l’ennemi) et la proie, source de butin, de trophées. Etres et espaces sont interprétés selon un imaginaire cynégétique qui plonge ses racines dans l’histoire non seulement allemande mais européenne. 

Les développements de l’auteur sont passionnants mais font froid dans le dos. On dit souvent que la technique avance plus vite que l’Humanisme. Voilà un ouvrage qui apporte sa petite pierre à l’édifice de l’Humanisme tant il porte à méditer.


Didier Paineau

Christian Ingrao, Les Chasseurs noirs, Perrin, « tempus », août 2009, 292 pages, 8,50 € 

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