"Par le sang versé, la légion étrangère en Indochine"

Une chanson de geste

Paul Bonnecarrère, engagé volontaire parachutiste en 1944, à 19 ans, est devenu parla suite reporter de guerre. Il a consacré plusieurs ouvrages aux guerres dites coloniales. Il y a de la chanson de geste dans ses livres. En cela, ils racontent des histoires si proches et si lointaines ! Proches car ces témoins vieillissent doucement dans un monde complètement bouleversé qui ne semble plus avoir de place à accorder à ces chevaliers d’un autre âge. A ma connaissance, ils s’enfoncent dans le silence et c’est sans doute bien dommage. A la place de Roland, Paul Bonnecarrère nous fait vivre l’épopée du capitaine Antoine Mattei et de sa poignée de Légionnaires. On a des émotions fortes et le point de vue de l’officier subalterne sur la conduite générale de la guerre. Ce genre de livre donne de la chair et du sang à l’Histoire qui perd son sens profondément quand elle feint d’être exclusivement une science. Edité en 1969 chez Fayard, Par le sang versé a fait l’objet d’une parution en poche. Il était introuvable. Merci à Tempus d’avoir réparé cela et gageons que La guerre cruelle, la suite,  viendra dans quelques temps si on la trouve encore « politiquement correcte », ce qui n’est pas gagné… Le livre doit son titre à un poème de 1920 sur ces étrangers devenus Français par le droit du sang…versé ! S’il y a un aspect mirliton dans ces vers, il n’y a pas que cela :

Le volontaire de étranger de 1914

Le monde entier disait : la France est en danger
Les barbares demain, camperont dans ses plaines
Alors, cet homme que nous nommions "l'étranger"
Issus des monts latins ou des rives hellènes 

Ou des bords d'outre-mers, s'étant pris à songer
Au sort qui menaçait les libertés humaines
Vint à nous, et s'offrant d'un cœur libre et léger
Dans nos rangs s'élança sur les hordes germaines

Quatre ans, il a peiné, lutté, saigné, souffert !
Et puis un soir, il est tombé, dans cet enfer..
Qui sait si l'inconnu qui dort sous l'arche immense

Mêlant sa gloire épique aux orgueils du passé
N'est pas cet étranger devenu fils de France
Non par le sang reçu mais par le sang versé.

Pascal BONETTI - 1920


La guerre d’Indochine pour les Nuls ?

Trois versions et deux phases.

Version une, un peu moisie, les méchants Blancs tapent sur le museau des gentils Jaunes en tant que colonialistes exploiteurs. Mais y’a des zorros blancs appelés communistes qui les aident à se libérer (tiens, tu fais éclater des grenades qui foirent en libérant des petits tracts avec « non à la guerre », que tes copains lisent parce que toi t’es mort, et qui ont été fabriquées par tes compatriotes du Parti). 

Version deux, un peu fleur bleue, cette foutue guerre commence comme une guerre coloniale et évolue en épisode de la Guerre Froide entre l’Est et l’Ouest. 

Version Trois, y’a des types un peu bizarres qui se battent, oubliés par Dieu et par les Hommes, dont tout le monde se fiche et qui sont dans la veine de Goetz Von Berlichingen ou d’Ernst Von Salomon, de Xénophon ou des Almugavares si vous préférez. De ceux qui se battent pour se sentir vivants, des réprouvés. 

Chacun apportera son écot, ou verra midi à sa porte.

La France reprend en 1945 une Indochine livrée à elle-même pendant le conflit mondial. C’est bien compliqué. Les Japonais ont cassé l’œuf en montrant que lorsqu’il est cassé, le blanc s’en va et le jaune reste ; les Ricains sont amis-de- tous-ceux-qui-veulent-se-libérer-vu-que-eux-y-zon-été-très-malheureux-avant, et arment les révoltés d’Ho Chi Minh, les Anglais sont avec mais pas avec nous car nous sommes Français mais qu’ils voudraient ben garder leur empire, les Pétainistes ont maintenu le drapeau français mais avec personne dessous… Et Leclerc arrive pour trancher un nœud gordien tellement nauséeux qu’il libère un parfum de « barrons-nous !!! ».

Pour des raisons encore plus compliquées que les précédentes, les politiciens de la Quatrième République décident de se maintenir. On essaye de s’entendre en ne cédant rien d’essentiel  donc on se résout à faire une guerre de clochards. D’un côté, des petits moyens français. On envoie la Légion Etrangère dont l’essentiel est composé par des Allemands, divers éclopés, paumés, du conflit mondial qui vient de s’achever. On prend des professionnels qui ne font pas plus de trois lignes dans un journal en mourant (« sont payés pour ça ») De l’autre, des Vietnamiens qui n’ont pas fini de digérer leur catéchisme marxiste-léniniste.

Guerre d’escarmouches, d’embuscades… Guerre oubliée. Le tournant intervient en 1950 avec le désastre de Cao Bang. En effet, la Chine est devenus communiste en 1949. Elle sert dorénavant de base arrière aux hommes d’Ho Chi Minh qui passent de la phase guérilla à la phase guerre ouverte avec de véritables divisions. L’armée française décide d’évacuer Cao Bang, au nord du Tonkin, lassée par les embuscades continuelles au bord de la Route Coloniale 4. Mais il ne faut pas perdre la face. L’évacuation aura donc lieu à pied ! C’est sur cette route que la colonne qui part puis la colonne de secours qui monte, des milliers d’hommes, seront absorbés par la jungle et exterminées par les divisions communistes. Seuls quelques dizaines de survivants hirsutes, hagards, émergent de l’enfer vert.

On change dés lors de phase. La France envoie des moyens et, De Lattre. Le héros de la libération fait une tournée aux Etats-Unis et obtient des moyens supplémentaires car l’Indochine entre de plain-pied dans la Guerre Froide. De Lattre est brisé par la mort de son fils unique, prélude au désastre de Dien Bien Phu en 1954 qui clôt cette guerre.
 
Didier Paineau

Paul Bonnecarrère, Par le sang versé, Perrin, « Tempus », 10,50 € 

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