"Syrie, 1941, la guerre occultée : vichistes contre gaullistes"

Certains épisodes de l’Histoire ont une odeur si gênante qu’on s’empresse de les oublier. Parfois, il se trouve un historien pour soulever le couvercle. Henri de Wailly, enseignant à Saint-Cyr-Coëtquidan, édite chez Perrin un ouvrage pointu, documenté et agréablement écrit sur l’attaque de la Syrie vichyste par les Anglais et les Français Libres en juin 1941.

Dans un avant-propos concis l’auteur nous rappelle que le Liban et la Syrie ont été confiés à la France après la Première Guerre Mondiale et la dislocation de l’Empire Ottoman. La SDN a confié à la France la mission de conduire ces territoires vers l’indépendance. Elle ne fait que des discours délétères et ne leur réserve pas un traitement différent de celui de  ses colonies, finissant par ruiner un crédit de sympathie réel en 1919…

Weygand au Levant

Au début de la guerre c’est le général Weygand qui reçoit la charge du Levant. Il découvre une armée « popote », sans véritable entraînement et dotée d’un matériel obsolète. Il se démène et ses efforts réussissent à restituer au corps du Levant de bonnes capacités opérationnelles. Le 17 mai 1940, Paul Reynaud appelle d’urgence Weygand en France en remplacement de Gamelin. La foudroyante offensive allemande a déjà blessé à mort l’armée française…

Le choix…

Les troupes du Levant perçoivent les échos de la situation en France mais ne réalisent pas l’ampleur du désastre. Le général Mittelhauser doit gérer la convention d’armistice au Levant. Personne n’a entendu De Gaulle. Son affirmation, maintenue contre vents et marées, que l’armistice était évitable, ne séduit pas grand monde même si elle a une vertu morale. L’armistice est inévitable le 22 juin 1940 ; La France garde le contrôle de ses colonies et les forces nécessaires à leur maintien.  Beaucoup d’officiers se montrent furieux de la défaite et souhaitent un rapprochement avec l’allié britannique. De Gaulle adresse un message de ralliement à toutes les colonies le 24 juin. Mittelhauser est alors assez exemplaire de l’incertitude qui règne. D’abord séduit, il se ravise quand le ministre Baudoin adresse une injonction à l’obéissance. Dans les garnisons le ton monte et cela tourne parfois à la bagarre. L’auteur nous raconte en détail le ralliement du colonel de Larminat et d’autres soldats ou officiers : 900 hommes sur 40 000, c’est presque inexistant. La discipline a fini par être la plus forte. On voisine avec les Anglais mais les drames de Dakar et de Mers el-Kébir où les Anglais attaquent leurs anciens alliés, on ne dialogue plus. Il y a bien deux France !

Les Italiens viennent appliquer la convention d’armistice au Levant. Les Français se font tirer l’oreille, ne livrant que du matériel inutilisable ou périmé. Mais dans le même temps, ceux qui sont suspects de gaullisme sont rapatriés vers la métropole. Cela traduit bien le « ni » « «ni » qui prévaut. Avec les moyens du bord l’armée du Levant se dote d’engins blindés. Elle se renforce. En décembre 1940 le général Dentz devient le chef du Levant. Alsacien, patriote, il est d’une discipline totale. Sa mission est de se défendre en cas d’attaque, « un baroud d’honneur, rien de plus, rien de moins » aurait dit Pétain.

De Gaulle-la-France ?

De Gaulle a besoin de l’empire, il ne se veut pas l’allié des Anglais. Il veut être et n’en démordra pas ! L’auteur décrit la violence de la propagande gaulliste envers Vichy. Il brosse un portrait du général De Gaulle où ce dernier paraît méfiant à l’égard des Anglais, autant qu’il est irritant pour eux, autoritaire (on le surnomme « Képi Ier »)… Cette propagande gaulliste finit par salir l’image de la France, notamment aux Etats-Unis. De Gaulle envoie Catroux le représenter au Levant. Ce dernier s’est rallié à lui malgré un grade supérieur et une notoriété bien plus importante. C’est un homme souple et cultivé. Il est au contact du général Wavell, chef des forces britanniques au Proche Orient. Les Anglais sont loyaux à l’égard de la France de Vichy, alliés de De Gaulle… De Gaulle ne peut accepter ce compromis qui provoque sa méfiance et son hostilité.

Vichy est réticent face à l’Allemagne dés 1940 ; Hitler serre la vis, chantage à la faim ou au froid. La France est étranglée. Au Levant, les Allemands soufflent sur les braises de la révolte arabe et le général Dentz doit faire face au désordre : manifestations, grèves… Il y a des morts. Cette agitation inquiète l’Angleterre qui est favorable au maintien de l’ordre par peur de la « contamination », face à cet impératif, De Gaulle ne pèse pas lourd. Les Anglais sont presque dix fois inférieurs en nombre aux Italiens. La situation est inquiétante… Que surtout rien ne bouge en Syrie ! Rapidement les Italiens sont battus et ne doivent leur salut qu’à l’intervention allemande. De Gaulle ne signifie rien dans cet opéra ! Il n’a que 5000 hommes. La Syrie et le Liban l’intéressent : Des soldats, un grand territoire qui lui permettraient d’exister…

L’affaire irakienne met le feu aux poudres

Les Allemands encouragent l’agitation arabe, il y a conjonction d’intérêts. Le grand mufti de Jérusalem adresse une lettre de félicitation à Hitler au moment de la défaite française. En Irak, en avril 1941, Rachid Ali prend le pouvoir et appelle à la guerre sainte contre les Anglais. Il demande l’appui allemand. Or, le pétrole passe par l’Irak. Pour les Britanniques la menace est sérieuse. Des manifestations de soutien à Rachid Ali ont lieu au Levant. Hitler, surpris, n’a d’autre choix que d’expédier les armes saisies au Levant français par la commission italienne. Pour cela il a besoin de Vichy. Il faut que des avions allemands transitent par la Syrie pour aller aider la révolte. Darlan, le dauphin de Pétain, négocie au moment précis où la France est étranglée, pour lui c’est une aubaine. L’auteur tente d’alléger le poids de l’Histoire sur les épaules de l’amiral, il en fait un portrait nuancé en insistant sur sa maladresse politique. En effet contre de vagues promesses orales il accorde l’autorisation écrite aux Allemands de faire transiter leurs avions par la Syrie. Dentz doit laisser faire et s’opposer par la force à toute intervention anglaise. Le choix est fait ! De Gaulle a tôt fait de s’agiter pour obtenir une attaque sur la Syrie en prétendant qu’elle est livrée aux Allemands ! D’autant plus que Darlan, de son propre fait, accorde d’autres avantages militaires à l’Allemagne dans l’empire (exemple l’accès de Dakar aux sous-marins allemands !). Vichy lui tape sur les doigts et il revient en arrière. Dentz applique les ordres avec une répugnance évidente. Les Anglais attaquent les avions allemands et les Français s’écartent. Les deux anciens alliés s’évitent. Les Allemands s’installent à Alep. Dentz est scandalisé. Il livre du matériel inutilisable ou saboté, celui qu’il a donné à la commission italienne.

Churchill prend la décision d’intervenir en Syrie, à la grande satisfaction du général de Gaulle. Le général Wilson commandera l’attaque. 34 400 combattants constitueront ses troupes : une majorité d’Australiens, les 5000 Français libres… Face à la menace Vichy demande aux Allemands de se retirer et, à sa grande surprise, Hitler obtempère. Pourtant une foule de fausses informations circule : les Allemands s’installent en Syrie ! Hitler ne pense qu’à sa prochaine invasion de l’URSS, Rachid Ali peut bien « crever ». Un geste dérisoire, rien de plus.

La guerre !

Le 8 juin 1941 l’attaque se déclenche. Les troupes croient devoir affronter des Allemands. Vichy ne pense pas que Dentz pourra résister plus de quatre jours mais Darlan lui demande de résister à outrance. L’auteur entre dans le détail des opérations et agrémente ses explications de cartes soignées. Les Français de Vichy se révèlent d’une opiniâtreté qui puise ses racines dans le désastre de 1940 et dans la volonté de maintenir la France, notamment l’Afrique du Nord que les Allemands peuvent saisir à tout instant. Ils en arrivent même à monter des contre-offensives victorieuses ! Dentz, isolé, ne demande l’arrêt des combats que le 9 juillet ! Le 12 les combats cessent. Les Français libres ne sont pas en bonne position. Les Vichystes ne veulent pas en entendre parler lors des négociations de Saint Jean d’Acre. Les Anglais se plaignent du concours réticent qu’ils ont apporté à la campagne. Or de Gaulle désire se substituer à Vichy au Levant. Les Britanniques ont d’autres intérêts. Ils ont conforté la Turquie dans sa neutralité. Ils tirent leur épingle du jeu mais ils sont amers de n’avoir pas combattu des Allemands. Les Français n’ont fait que révéler leur guerre civile larvée. De Gaulle s’insurge contre la convention de Saint Jean d’Acre, « engueule » Catroux et obtient à force de violence la reconnaissance de l’autorité de la France Libre au Levant mais obère ses relations futures avec les Anglo-Saxons. Les Britanniques, choqués par son ingratitude, sabotent la présence française en encourageant les Arabes dans leur volonté d’émancipation. Les Français libres font tout pour séduire les troupes vichystes et les dissuader de demander leur rapatriement. Le succès est mitigé : 5688 ralliements sur 37000 ! La rancune entre les deux camps est devenue tenace. Elle touche la 2eme DB en Normandie lorsque Vichystes et Gaullistes auront été amalgamés, et les anciens combattants cinquante après… Dentz est condamné à mort en 1945, gracié, il meurt en prison. 

Amertume cornélienne quand tu nous tiens… L’Histoire broie les gens et quand elle fait semblant d’être en panne, les petites mains humaines savent construire le malheur…

Didier Paineau

Henri de Wailly, Syrie, 1941, la guerre occultée : vichistes contre gaullistes, Perrin, septembre 2006, 504 pages, cartes, notes, photos, index, 24,80 € 

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