Les "Autoportraits en miettes" de Philippe Claudel permettent de briser la glace

Pénétrer dans un musée pour découvrir, apprendre, admirer. Pour s’initier à d’autres cultures, pour entrevoir de nouveaux regards sur le monde, saluer la beauté, passer outre ce qui déplaît ou ennuie. Pour se confronter à des génies créateurs autres, pour s’enrichir l’esprit et le cœur.  « Vaste parloir », le musée est à cet égard le meilleur endroit pour avoir tous les droits de choisir, d’unir, de réinventer ainsi que l’écrit l’auteur en introduction à cette conversation avec lui-même. Quand il s’agit de peinture, émotion, admiration, tout s’entremêle et l’intérêt  grandit car son langage parle en direct. Nous aimons ou pas. La neutralité serait un mauvais signal. Faites l’expérience, à peine entrer dans une salle, sauf à suivre mécaniquement l’accrochage des tableaux, il arrive souvent que l’œil, oubliant les autres, se porte directement vers une œuvre et pousse les pas vers elle seule. 


Un choc, une percussion, un éblouissement, un puits qui s’élargit sur des trésors. La mémoire convoquée, le recommencement des songes. En tous cas, choix conscient ou attirance non expliquée, immédiat, inexplicable, un lien sacré se crée si l’on peut dire. L’écho en retour est certain, se propage. Et renvoie à soi, le reconstruit. « Regardez-vous en tant qu’œuvre d’art ». Suivons le conseil. 

Combien de fois n’a-t-on dit que Rembrandt, à travers sa galerie d’autoportraits, peignait en désignant les siens nos ressorts cachés, dévoilait nos attentes et nos secrets, marquait sur son visage les griffes du temps qui ravagent les nôtres. Toute œuvre d’art serait source de réciprocité.  


On suit avec plaisir Philippe Claudel dans sa démarche. Car en démontant à 18 reprises pour nous celle qui est la sienne, il nous propose d’élaborer notre propre parcours intérieur autant de fois que cela nous chante ou nous inspire! Les œuvres que l’on suspend « aux cimaises de sa vie » vont dialoguer, illuminer ou obscurcir nos jours. La liberté est entière, puisque la décision est nôtre. Du moins en partie. A nouveau, qui attire, qui consent à la séduction ?


Auteur d’une vingtaine de romans, réalisateur, professeur, primé et juré Goncourt, Philippe Claudel revisite Callot, Vallotton, Gustave Doré, Delacroix, mais aussi Erik Dietman, Charles Auguste Sellier ou encore Gherardo Poli, moins connus et pourtant rendus tout aussi intéressants par l’approche qu’il partage avec nous et les retentissements que ces tableaux opèrent en lui. Chocs d’idées, impressions qui se dégagent devant les couleurs et les volumes, les mises en place, les perspectives, connivences immédiates, jugements intimes, il livre avec ses mots qui sont « des fragments de prose » la palette de ses saisissements, les images que ces images suggèrent au plus profond de lui, les anecdotes de l’histoire, les souvenirs oubliés, les interrogations et les certitudes qui deviennent siennes au fil de sa visite. Il collectionne les signes, comme il le dit, simplement, spontanément, en « petit maître » qu’il estime être, à l’instar de certains des artistes auquel il fait face et dont il perçoit pourtant le talent. On mesure le sien. Jeu de dupes doublement révélateur, il polit un miroir qui est en miettes en apparence, qui s’unifie au total. Ici haché, scandé et épelant la sensation, ailleurs décrivant comme un pinceau la toile, avec ce  style qui lui est particulier, son discours de spectateur en alerte est un constant appel à l’éveil. 


Ce petit ouvrage est une vaste leçon d’analyse à retenir. Philippe Claudel a naturellement opté pour le musée de Nancy, qu’il connaît depuis l’enfance, ce magnifique bâtiment situé place Stanislas, abritant aussi bien des œuvres de Vouet, du Caravage, de Teniers ou de Ribera que d’Isabey, de Modigliani ou de Lucien Freud. Chacun, face aux auteurs qui sauront se faire élire, ajustera dans le cadre les termes qui lui conviennent. Ces pages vives et ciselées ouvrent la porte d’un voyage à travers la surface du moi.


Dominique Vergnon


Philippe Claudel, Autoportraits en miettes, 22 illustrations, 150x190, Nicolas Chaudin, juin 2012, 96 p.- 17,30 euros.  

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