"Nos ancêtres les Germains, les archéologues au service du nazisme"

L’archéologie arme de destruction massive ?

L’archéologie n’est pas une activité innocente. Le temps est la source essentielle de la légitimité. Cela commence à l’école : « c’est ma place ! J’étais là avant ! », et le « qui va à la chasse, perd sa place » aboutit au conflit…

Laurent Olivier est conservateur en chef du patrimoine, en charge des collections celtiques et gauloises au Musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. Il nous offre un ouvrage original sur le nazisme, plus précisément  sur l’archéologie au service du régime. Cet ouvrage est né du coup de téléphone du professeur Leube de Berlin, demandant à l’auteur d’enquêter sur les rapports des archéologues allemands et Français pendant la guerre.

L’archéologie fondement d’une nouvelle culture

Dès 1933, l’archéologie bénéficie de toutes les sollicitudes du régime nazi. 86% des archéologues sont au NSDAP, même avant qu’Adolf Hitler bloque l’entrée au parti, pendant quelques années, pour empêcher un entrisme délétère, le nombre d’archéologues nazis est très important. L’archéologie est la clef de voûte de la « racialisation » de la culture car elle en porte la légitimité. Comme toujours en Allemagne nazie, les efforts se dispersent. Rosenberg, le théoricien du parti, affronte Himmler, le chef des SS, pour le contrôle de l’archéologie allemande. Dans un premier temps l’Ahnenerbe de Hans Reinerth- sous l’égide de Rosenberg- domine le secteur.  Ses techniques comme l’utilisation de la photographie, l’archéobotanique, l’archéozoologie, la sédimentologie, ont quarante ans d’avance ! Herbert  Jankuhn, de l’institut scientifique de la SS, le supplante peu à peu. Himmler ne cesse tout au long du Reich d’étendre les tentacules noirs de son ordre, tous azimuts. Reinerth sera le seul  à porter le chapeau de la compromission de la profession  où son caractère lui a valu de nombreuses inimitiés, et il sera mis au placard après la guerre. Jankuhn réussira sa « dénazification ».

L’interprétation raciale de  l’existence du peuple indo-européen  ou indo-germain est antérieure au nazisme. Gustav Klemm (1802-1867) oppose déjà les Aryens virils aux Sémites efféminés, les dominateurs et les dominés. Plus tard,  Gustaf Kossinna (1858-1931) est reconnu comme le père de l’archéologie nazie. Selon lui la fabrication d’objets spécifiques relève d’un peuple et révèle sa diffusion géographique.  C’est un peu sommaire. Pour lui, les Indo-Germains ont inventé la civilisation, ce qui s’oppose à la théorie courante selon laquelle « la lumière vient d’orient ». Les archéologues nazis se mettent à chercher l’aire géographique de diffusion de la « race des seigneurs » pour fonder un droit historique aux revendications territoriales de leurs maîtres. L’argent pleut sur la profession qui est déjà réputée.  Les recherches germaniques supplantent les recherches classiques gréco-romaines. Elles sont enseignées et diffusées auprès du grand public dans un but de propagande.

Une archéologie instrumentalisée

La France occupée devient un enjeu. Les archéologues se jettent sur l’Alsace à l’appui de la politique de « défrancisation », pour en prouver la justesse. Toute fouille qui ne va pas dans le sens attendu est abandonnée et passée sous silence, c’est le cas, par exemple, du mystérieux mur cyclopéen du mont  Sainte-Odile dans les Vosges qui ne se révèle pas être un mur germain face aux Gaulois.  Dans le cas contraire, on organise une exposition comme celle qui reçoit 110 000 visiteurs entre juin et août 1942. Les archéologues nazis s’emparent de la découverte controversée de Glozel : des objets couverts d’une écriture inconnue. Ils interprètent les gravures de Gavrinis… Le but est de faire pièce à la prétendue origine orientale de la civilisation.  Il s’agit aussi de revendiquer des territoires qui furent germaniques même s’ils n’en ont pas gardé la langue, comme la Champagne, les Ardennes ou la Bourgogne. L’archéologie française ou belge est prise en main, par la pression, l’argent et la plus grande maîtrise professionnelle (l’archéologie française est laissée très souvent aux amateurs ou aux autodidactes). Nombre d’archéologues saisissent cette manne. La  Bretagne reçoit ainsi une origine germanique et les pauvres Gaulois n’ont rien inventé. Les nazis utilisent les groupuscules autonomistes régionaux en Flandre, en Bretagne ou en Bourgogne… Tous petits frères dégénérés du grand frère allemand qui va pouvoir les régénérer. C’est le cas du prophète de la Bourgogne germanique, le préhistorien Jean-Jacques Thomasset. Il devient célèbre pour peu de temps et, heureusement pour lui, cette notoriété en Allemagne échappe en partie aux épurateurs en 1944-45. Cela ressemble à une tentative poétique de résister à l’uniformisation du monde. Le courant régionaliste des années 1970 exhumera Thomasset…

Du côté de Vichy, le passé gaulois sert à la Révolution Nationale. Le Gaulois escamote le Sans-culotte. Le Germain joue le rôle du Romain venu redresser le Gaulois et le guider vers une nouvelle civilisation… Vichy organise l’archéologie française en s’inspirant des méthodes d’avant-garde de l’archéologie du 3e Reich, avec les lois de Carcopino.

Un aspect peu convaincant

L’auteur réussit l’exploit de caser une allusion à  Le Pen au milieu de son sujet, dés le début de l’ouvrage. Cela donne le ton un peu trop politiquement correct d’une portion de son ouvrage. La partie de son livre intitulée « ni responsable ni coupable » laisse quelque peu interdit. Il semble  affecté par le fait que la profession soit passée à travers la punition des fourches caudines de la repentance. Certes elle a dû se faire petite et des gens qui avaient adhéré à … Ont continué leur travail sous d’autres formes. Soit, qu’eut-il fallu faire ? L’auteur se lance dans des considérations peu claires et peu convaincantes  sur le nazisme et ses conséquences. Il lui accorde une place unique dans l’Histoire, parlant de viol et de contamination culturelle. L’Histoire est une si belle fille qu’elle a été maintes fois violée, quant à la contamination culturelle, tout système dominant en a fait ainsi…  

En conclusion, un livre original et intéressant dans ses données factuelles.

Didier Paineau


Laurent Olivier, Nos ancêtres les Germains, les archéologues au service du nazisme, Tallandier, septembre 2012, bibliographie, index, 313 pages, 20.90 euros


Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.