"L'histoire de France interdite", arrêtons le massacre!

Ce livre est celui d’un homme en colère face au sort réservé à l’Histoire de France, tant dans le système éducatif que dans les médias. Dimitri Casali, ancien enseignant, milite pour des méthodes pédagogiques alternatives : il n’hésite ainsi pas à utiliser la musique rock. Son livre est parfois provocateur, iconoclaste mais sans verser dans le pamphlet ou l’invective. On ira donc voir ce qu’il en est et comme on dit toujours, « le lecteur jugera ».

 

L’Histoire saccagée


Enseigner l’histoire a toujours été difficile. Et a toujours fait l’objet d’une récupération. Ainsi le grand récit national proposé par la IIIème République avait pour but de faire des enfants de bons républicains. On était alors très loin d’avoir une vision sereine de certains rois de France. La lecture de ce livre confirme que l’Histoire reste dépendante du pouvoir politique et de la société dans laquelle elle est censée être enseignée, tout comme son enseignement est un enjeu de pouvoir…


L’auteur attaque la façon dont certains grands personnages - Louis XIV, Napoléon - sont traités par les nouveaux manuels. Là le ton se fait polémique, contre les mandarins de l’éducation nationale qui ont piloté cette réforme que les gouvernements de droite - qu’on a connus plus sourcilleux sur les questions d’identité nationale, d’ailleurs inutilement - ont laissé passer sans mot dire. Pourquoi ces réformes ? Louis XIV et Napoléon sont abandonnés ou traités en quelques lignes à cause de leur racisme supposé. Le premier a édicté le code noir, le second rétabli l’esclavage. Un livre comme celui de Claude Ribbe, le Crime de Napoléon, a popularisé une vulgate qui fait de l’empereur des Français un précurseur d’Hitler, un nazi avant l’heure. Mais il n’y a pas qu’eux : exit Charles Martel, dehors Jeanne d’Arc - récupérée par le Front National. La question est pourquoi ?


L’ambition de l’éducation nationale, d’après Casali, serait de former des citoyens du monde. Ce mouvement viendrait de loin et se serait enraciné dans les années 80, au moment où l’intégration de la Vème République dans l’Union Européenne et les progrès de la mondialisation semblaient rendre obsolète le cadre national. Du coup, tout ce qui a trait à la Nation est considéré avec suspicion. Mais de ce livre fort intéressant - et qui fait vibrer le critique, ancien enseignant, qui a au cœur la passion de l’Histoire - on retient aussi que, selon l’auteur, la perception de l’immigration a changé la donne.

 

Le vrai sujet du livre : l’intégration des enfants d’origine immigrée


Si ces réformes se succèdent depuis les années 80, c’est aussi parce que le pays ne semble pas avoir su intégrer les élèves issus de l’immigration d’Afrique du Nord : le problème ne s’était pas posé aussi durement avec les précédentes vagues d’immigration qui, venant d’Europe, partageaient un socle culturel et religieux commun - rappelons cependant que ce ne fut pas forcément facile - et ne se retrouve pas du tout dans les mêmes termes pour les communautés originaires d’Extrême-Orient (Chine, Vietnam, Cambodge…) ; ce qui peut aussi amener à déduire que ce n’est peut-être pas ici du côté de la culture et de la religion qu’il faut chercher, mais plutôt au niveau du nombre d’élèves à intégrer et des moyens mis à disposition, sans oublier les méthodes de pédagogie.


En tout état de cause, comment donc raconter l’Histoire de France à des élèves à qui cette histoire ne dit rien, voire qui suscite un rejet ? L’actualité récente a montré la difficulté à enseigner l’Histoire de la Shoah dans les banlieues. Mais quid de Charles Martel ? Que faire de l’évocation de la conquête et de la colonisation de l’Algérie ? Comment traiter ces questions ? Dimitri Casali estime que la réponse de l’administration a été soit d’évacuer les problèmes - sauf pour la Shoah -, soit de réformer les programmes en proposant d’autres enseignements : Chine des Han, Inde des Gupta, par exemple. En fin de compte, voici ce qui taraude l’auteur : comment un pays qui a honte de son Histoire et des grands personnages qui l’ont faite peut-il intégrer les enfants issus de l’immigration ? Le cas de Napoléon est à tout le moins intéressant : voici un Corse, né alors que l’île était à peine française, qui réussit à devenir empereur d’un pays dont il se méfiait initialement, voire qu’il  haïssait… On parle ici d’un homme qui fonde le conseil d’Etat, institue les préfets, promeut le code civil… Il devrait être possible d’appréhender Napoléon avec sérénité, évoquer un bilan qui comporte des aspects négatifs - dont le rétablissement de l’esclavage bien sûr - mais qui doit être replacé dans le contexte d’une époque. N’est-ce pas ce type d’enseignement que l’on se doit de mettre en place ? Encore faudrait-il accorder à cette période un nombre d’heures suffisant…


Du point de vue des programmes, on arrive donc aussi à des solutions ubuesques, en réduisant par exemple la part horaire dévolue à l’enseignement de l’Egypte en sixième. Là il est clair que cette réforme des programmes a été faite par des bureaucrates car il faut vraiment n’avoir jamais enseigné pour ne pas savoir que s’il y a bien une période qui suscite attente et envie chez les jeunes élèves de sixième, c’est bien l’Egypte ancienne avec ses pyramides, ses dieux bigarrés, ses pharaons et son art aussi. A l’heure de la mondialisation, s’il paraît normal d’intégrer une initiation à l’histoire chinoise, comment comprendre cette minoration de l’Egypte au moment des révolutions arabes ?


Passion et excès


Au final, un livre excessif, parfois injuste mais qui sonne le temps du débat. On peut reprocher à l’ouvrage de surfer sur un air du temps très critique envers l’enseignement de l’Histoire en France, sujet de débats récurrents et passionnels. Ensuite, il néglige aussi le fait que, malgré ces programmes, nombre d’enseignants passionnés continuent à enseigner leur matière et à transmettre le goût de l’Histoire à leurs élèves. Car il existe tout de même une certaine latitude sur le terrain par rapport à l’obligation faite aux enseignants de respecter la lettre des programmes : l’auteur de ces lignes en a d’ailleurs bien abusé. Enfin, si Dimitri Casali est totalement exempt de l’accusation de racisme, il est clair qu’il participe aussi de ce que j’appellerai « le grand doute national » sur l’intégration des enfants d’immigrés issus de la sphère culturelle arabo-islamique. Et l’effet de loupe gêne, car il occulte du coup les milliers d’enfants issus de ces milieux et qui réussissent. S’intègrent.


En ces temps de dépression nationale, l’enseignement de l’Histoire de France devrait faire l’objet d’un consensus dans toutes les couches de la société, sans verser dans « le rose bonbon » ou les peintures d’Epinal d’autrefois ; ni dans l’extrême inverse : « le livre noir de… ». Et hors d’équilibre point de salut ! Voici donc un livre qui pose un débat loin d’être clos… A envoyer au ministre de l’éducation nationale ?

 

Sylvain Bonnet


Dimitri Casali, L’Histoire de France interdite, Jean-Claude Lattès, septembre 2012, 286 pages, 19€

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