"Un Tsar à Paris", l'autre Alexandre le grand


L'historienne et le Tsar

 

La figure d’Alexandre 1er, tsar de toutes les Russies, adversaire, allié puis à nouveau adversaire implacable de Napoléon, intrigue et ne peut que susciter la curiosité de l’historien. C’est le cas de Marie-Pierre Rey, spécialiste d’histoire russe à l’université Paris I Panthéon Sorbonne et déjà auteur d’une remarquable d’Alexandre. Curieux personnage… Francophile et francophone (à l’instar de Frédéric II, il écrivait sa correspondance dans un remarquable français), il fut l’élève du suisse La Harpe qui l’imprégna des lumières. Petit-fils de la grande Catherine, il dut son élévation au trône à l’assassinat de son père, le fantasque Paul. Dévoré par la culpabilité, il monta sur le trône plein d’idées de réformes pour une société russe archaïque.  La guerre contre la France et la relation à Napoléon accaparèrent vite l’attention du Tsar… On ne refera la biographie d’Alexandre,   Un Tsar à Paris le présente au moment où, victorieux, il entre dans un Paris réservé… Pour un temps seulement. Car le charisme d’Alexandre opère vite.

 

Alexandre le libéral

 

Une fois acquise la chute de Napoléon, Alexandre ne montra aucun esprit de revanche envers la France (exerçant ainsi la fameuse Clementia de César). Le traité de Paris de 1814 ne mentionne aucune dette de guerre. La France perd la Belgique et la rive gauche du Rhin - ne cédons pas à l’anachronisme, personne ici ne se doute alors que la Prusse sera l’acteur de l’unification allemande en 1870 – mais garde Mulhouse, Avignon, Nice et la Savoie (perdue cependant en 1815 après les désastreux cent jours).

 

Autocrate contre son gré, Alexandre, comme le démontre ici Maire-Pierre Rey, n’en demeurait pas moins enfant des Lumières. Ainsi il encouragea le sénat de Napoléon à rédiger une constitution libérale qui fut en partie reprise par la charte de Louis XVIII.. En retour il sera traité par le souverain français, monarque imbu de son rang et de l’ancienneté des Bourbons par rapport aux Romanov –émigré depuis 1791, il n’avait que sa légitimité…- avec mépris et rancœur. Alexandre, dont les autrichiens et les anglais craignent les ambitions, ne cessera pourtant de traiter la France avec magnanimité, y compris en 1815 (il sauvera l’unité du pays malgré les pressions de la Prusse). Mieux, en 1814 il rendra plusieurs fois visite à la première femme de Napoléon, Joséphine, à la  Malmaison qui le trouvera charmant. Et même Hortense de Beauharnais, fille de l’ex-impératrice très attachée à Napoléon, finira par céder au charme d’Alexandre avec qui elle développa une sorte d’amitié amoureuse. Le tsar trouva là un accueil bien plus chaleureux que chez les Bourbons vengeurs…

 

France et Russie, distance et passion

 

1814 constitue la première rencontre « passionnelle » entre russes et français. La propagande de Napoléon n’eut de cesse de présenter les cosaques comme des barbares assoiffés de sang et de femmes. Alexandre 1er modéra ses troupes - il y eut des excès criminels- constamment. Lors de la prise de Paris, les cosaques ne commirent cependant pas d’excès. Quant aux officiers russes, ils ne manquèrent pas d’aller faire la fête dans ce qui était pour eux la « Rome » des temps modernes. Ils en ramenèrent aussi des idées libérales et démocratiques, que leur tsar Alexandre n’aurait pas désavoué en son for intérieur, qui les menèrent pour certains à participer au complot décembriste de 1824.

 

Qui sait aujourd’hui que l’expression « montagne russe » vient de 1814 ? A un moment « compliqué » des relations franco-russes, Un Tsar à Paris vient rappeler le rôle singulier d’Alexandre 1er dans l’histoire de France (la publicité de la couverture n'est en rien mensongère!). Remarquable.

 

 

Sylvain Bonnet

 

Marie-Pierre Rey, Un Tsar à Paris, Flammarion « au fil de l’Histoire », mars 2014, 330 pages, 22 €          

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