"La chute de Rome", tout empire périra

Un débat ancien

 

Si, à bien des égards, l’Europe est née sur les cendres (fécondes) de l’ancien empire romain, sa chute demeure un sujet de débats historiographiques pour les spécialistes. Gibbon, en son temps, avait écrit une somme, déclin et chute de l’empire romain, qui impressionna des générations de lecteurs, avec cependant des partis pris sur la décadence et à l’influence pernicieuse du christianisme qui, aujourd’hui,  choquent. Plus près nous, on peut résumer le débat entre deux thèses, à rebours de celles de Gibbon : d’un côté, ceux qui à l’instar d’André Chastagnol, grand romanisant de l’après-guerre, voient dans le bas-empire une civilisation florissante, riche culturellement, n’ayant rien à voir avec  l’ensemble déclinant décrit autrefois par Gibbon, et qui estiment que les barbares germaniques ont assassiné le monde romain ;d’un autre côté ceux qui, à la suite de Peter Brown et des idées qu’il a développé dans Génèse de l’antiquité tardive (1983), défendent l’hypothèse selon laquelle les barbares ont été largement et rapidement romanisés par les sociétés conquises et donc que les continuités l’emportent sur les ruptures dans la marche vers le Moyen-Âge. Le livre de Bryan Ward-Perkins, professeur à Oxford, vient violemment remettre en cause cette dernière thèse, actuellement majoritaire dans le monde universitaire.

 

Les chemins divergents de l’Occident et de l’Orient

 

Pour autant, Ward-Perkins ne remet pas en cause toute l’hypothèse de Brown qui reste valable selon lui pour l’Empire romain d’Orient (rappelons qu’en 395, l’empereur Théodose a partagé l’Empire entre ses deux fils : à Honorius l’Occident et à Arcadius l’Orient). Son grand sujet, c’est l’Occident. Or, notre auteur s’appuie sur des textes et des inscriptions. Il rappelle la violence de la conquête barbare vis-à-vis des populations civiles, les exactions contre les femmes et insiste aussi sur l’écroulement progressif de l’appareil administratif impérial. Le tournant de la conquête selon lui fut la conquête de l’Afrique (l’actuelle Tunisie) en 429-430, province riche et rapportant à l’Etat romain de fortes rentrées fiscales à un moment où l’Italie et la Gaule, ravagées par les Goths, bénéficiaient de dégrèvements. À partir de ces années, l’Empire est centré sur l’Italie et la Gaule du Sud et ne reprendra que rarement la main, se montrant aussi incapable d’entretenir l’armée et in fine de payer les soldes.

 

L’effondrement économique et culturel

 

Le point fort du livre, qui sera            contesté par les spécialistes, est de proposer une mesure de l’effondrement économique entre le début du Vième siècle via la poterie et le nombre d’amphores produites. Car un des points communs entre l’Empire romain et l’Union Européenne d’aujourd’hui était d’avoir instauré un marché commun à l’échelle méditerranéenne avec une monnaie unique, ce qui avait comme conséquence de favoriser les échanges, en particulier d’amphores, de vaisselle, de poterie. Or ces échanges s’effondrent en un siècle dans la partie occidentale. Des flux subsistent, une production résiduelle se maintient en Italie mais sans commune mesure avec la période impériale. Quant à la monnaie, elle disparait de certaines régions, comme l’Angleterre, qui reviennent au troc.

 

La connaissance de l’alphabet et l’apprentissage de la lecture sont difficiles à mesurer à l’époque romaine. On peut cependant déduire des graffitis retrouvés, en particulier à Pompéï, qu’elle pouvait toucher des milieux modestes et populaires. Dans la période suivant l’effondrement, selon Bryan Ward Perkins, la maîtrise de la langue écrite ne concerne plus qu’une minorité, principalement des clercs. De ces deux observations, portant sur l’espace occidental romain, Ward-Perkins conclut à un effondrement rapide et sans précédent de la civilisation. Brillant, contestable, on attend de ce livre qu’il suscite maintenant le débat au sein des historiens (et chez les lecteurs).

 


Sylvain Bonnet

 

Bryan Ward-Perkins, La chute de Rome, traduite de l’anglais (Grande-Bretagne) par Frédéric Joly, Alma éditeur, février 2014, 370 pages, 24,90 €

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