Leni Riefenstahl, l'artiste maudite

 

Un cas historiographique

 

Jérôme Bimbenet, historien du cinéma, nous livre une biographie de Leni Riefenstahl (1902-2003), danseuse, photographe et cinéaste qui a mis son talent au service du nazisme. Il ne s’agit pas du premier ouvrage qu’il consacre à l’égérie du 3ième Reich : en 2006, il avait publié Quand la cinéaste d’Hitler fascinait la France, où il revenait sur l’accueil très favorable qu’avait réservé notre pays à une cinéaste déjà très controversée. Leni Riefensthal pose d’emblée plusieurs problèmes à l’historien car, une fois qu’on a accepté son importance artistique (indéniable), se pose alors la question de la morale. Que savait-elle au juste du nazisme et des actes d’Hitler ? Quelle est la part de l’opportunisme et de l’idéologie dans son ralliement ? Avec elle, pour paraphraser Rivette, le traveling redevient une affaire de morale.

 

Une jeunesse allemande

 

Jérôme Bimbenet parvient très bien à nous présenter les années de formation de cette femme née en 1902 dans l’Allemagne wilhelmienne. La jeune Leni grandit dans une famille plutôt aimante, ce qui n’empêche pas ses accès de rébellion : elle veut être danseuse et actrice, contre la volonté de son père qu’elle n’hésite pas à braver. Elle réussit, avec l’aide de ses amants successifs, grâce surtout à son talent, à devenir danseuse, remportant un succès certain. Le cinéaste Arnold Fanck l’engage pour le rôle féminin de La montagne sacrée. C’est le succès et Leni Riefenstahl commence très vite à manifester l’envie de passer à la mise en scène. En 1932, elle coréalise La lumière bleue. Mais ce n’est pas le plus important cette année-là.

 

Pacte avec le diable

 

Sa rencontre avec Adolf Hitler en 1932 change son destin. Dès qu’il accède au pouvoir, il lui propose la direction artistique du film du Congrès du NSDAP à Nuremberg en 1934, Le Triomphe de la volonté, archétype du film de propagande inspiré à la fois par Fritz Lang et Eisenstein. Puis, en 1936, elle réalise Les Dieux du stade, film officiel des Jeux olympiques qui devient un succès mondial. Dans ces deux films, Rienfenstahl offre un montage brillant et bénéficie aussi d’avantages importants : budget considérable, possibilité d’utiliser le studio pour « refaire » des prises, etc…Sans jamais devenir membre du parti, Leni Riefenstahl est pratiquement devenu un hiérarque du régime dont elle épouse l’antisémitisme (au moins verbalement). En voyage à Hollywood, elle ne comprend pas l’ostracisme qui la frappe et le met sur le compte des juifs américains…

Quand la guerre survient, elle court tourner un documentaire en Pologne où elle assiste à des exactions, sans que cela change au final quoique ce soit. Riefenstahl commence à tourner Tiefland, qu’Hitler finance en partie, qui nécessite l’intervention de figurants tziganes. Elle ira les chercher dans les camps, les filmera et ils retourneront ensuite en camp : peu reviendront… Savait-elle ce qui les attendait ?

 

Un après-guerre qui ne finira jamais

 

A partir de 1945, Leni Riefenstahl est devenue partout indésirable, arrêtée successivement par les américains et les français (qui mettent la main sur le premier montage de Tiefland). Mais elle s’en sortira au final, même si l’opprobre ne la quittera jamais car avoir serré la main d’Hitler marque…Jean Cocteau, qui compte parmi ses admirateurs, tente d’amener le film Tiefland au Festival de Cannes mais échoue, en raison du souffre qui entoure la cinéaste. L’apport artistique de Rienfenstahl n’est en fait jamais nié par les critiques ou par ses pairs, jusqu’à aujourd’hui. Elle reste cependant un cas d’école de l’esthète tombée en politique et s’engageant, sans en mesurer toutes les conséquences, dans une idéologie qui se révélera à l’origine de la plus grande catastrophe du vingtième siècle. Selon Jérôme Bimbinet, son influence se retrouve au cinéma, dans la pub, les clips, bref tout ce qui fait la culture pop (n’a-t-elle pas photographié Mick Jagger  pour un reportage dans un journal américain?) et mainstream d’aujourd’hui. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la vie d’une femme qui se rêva et fut artiste.



 

Sylvain Bonnet

 

Jérôme Bimbenet, Leni Riefenstahl, Tallandier, septembre 2015, 336 pages, 20,90 €

1 commentaire

Il y a quelques saisons, j'ai lu la bio "Leni Riefenstahl - Une ambition allemande" de Steven Bach (éd. Jacqueline Chambon/Actes Sud) que j'avais trouvée dense et pertinente dans son approche critique. J'aimerais savoir si cette tentative de cerner la cinéaste et photographe apporte des éléments nouveaux, merci.