Victor Hugo, le Chiffonnier de la littérature

Virginie Geisler enseigne à l’Université de la Sarre, à Sarrebruck, en Allemagne. Elle s’est penchée, à l’occasion de sa thèse, sur la sociopoétique des vêtements dans les romans de Victor Hugo. Une drôle d’idée qui aboutit à cet étonnant livre au titre déroutant : pourtant rien de facétieux ici, c'est une étude très sérieuse qui tente de démontrer combien le vêtement est le complice indissociable chez Hugo pour nourrir sa création romantique, son imagination et sa manière d’être au monde. Une façon d’être en opposition avec Balzac, aussi.

 

Victor Hugo, poète de l’informe nourrit une attirance toute particulière pour ce qui est voué à disparaître, les déchets, les chiffons, transformant ce matériau impropre en texte : en cela il est bien l’écrivain de la révolution industrielle. Il aime le foisonnement du matérialisme qui l’entoure et s’amuse à recycler tout cela dans des descriptions infinies – des loques de la misère aux soieries les plus riches – à travers une quête insatiable des faits qui font la petite et la grande Histoire. Un feu d’artifice de créations qui est particulièrement visible chez Hugo, tant son écriture, sa matérialité et les images qu’il emploie s’entrelacent.

Virginie Geisler s’appuiera sur la sociopoétique pour envisager l’œuvre littéraire d’un point de vue de l’anthropologie, de la symbolique, du corps et de l’éros. Car cet écrivain-chiffonier a fait sien le vêtement écrit comme marqueur d’une différenciation entre l’homme et l’animal, se donnant ainsi la distance pour s’écarter de la norme antique et inventer un autre discours littéraire. Cela lui offre alors les outils idoines pour fustiger une humanité sur le déclin, et avec elle, la cruauté des hommes.

 

Si le port du vêtement catégorise abusivement le Moi social, Hugo sait que l’individu est jugé de visu : l’habit fait le moine ! et donc automatiquement intégré dans une classe sociale. L’acteur ainsi enfermé dans un carcan hermétique aura toutes les difficultés du monde à pouvoir s’en extraire… sans l’habit approprié. Hugo aimerait unifier la société, et pour cela bannir les rouages sociaux et les politiques iniques (souvenons-nous de son pamphlet contre Napoléon III). Choqué par ce qu’il découvrit en visitant les prisons, le poète-romancier arrache encore au vêtement écrit toute une poétique de la compassion.

 

Victor Hugo fait montre d’une grande sensibilité à l’endroit de la matière textile, et cela va bien au-delà de l’imaginaire social de son siècle. L’écrivain aime décrire dans ses romans le toucher et la matière ; il froisse les tissus, les palpe, les chiffonne… Il fouille la matière, barbouille ses textes des sensations éprouvées par ses mains qui s’adonnent souvent au plaisir tactile du contact avec les tissus.

En cela, Virginie Geisler insiste sur le fait qu’Hugo semble être pleinement conscient de cette « synergie entre matière, outil, geste, mémoire et langage ». De ses réflexions métapoétiques, il aboutit à des considérations métaphysiques. Une union sacrée existerait belle et bien entre tissu et langage, d’où l’importance accordée à la notion de palimpseste dans l’univers hugolien…

 

Le corpus de cet ouvrage est composé des romans suivants : Le Dernier Jour d’un condamné (1829), Notre-Dame de Paris (1831), Claude Gueux (1834), Les Misérables (1862), Les Travailleurs de la mer (1866), L’Homme qui rit (1869) et Quatrevingt-Treize (1874). Ils offrent à Virginie Geisler une multitude de fils directionnels qui forment une grande toile tissée par l’imaginaire de Victor Hugo. Un voyage initiatique auquel on vous invite à prendre part pour tenter d’élucider les significations que prennent tissus et vêtements dans l’univers romanesque hugolien.

 

François Xavier

 

Virginie Geisler, Victor Hugo, chiffonnier de la littérature, Honoré Champion, juin 2014, 592 p. – 110,00 €

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