Howard Phillips Lovecaft est connu des amateurs de fantastique comme le grand maître incontournable du genre. On ne dira jamais combien le fantastique doit à cet auteur génial du début du vingtième siècle. Les nouvelles de Lovecraft naviguent entre le fantastique, l'épouvante, et la science-fiction, pour mettre en scène des dieux maléfiques antédiluviens (les Grands Anciens) et nombreuses créatures démoniaques dans la Nouvelle-Angleterre des années 20 et 30. Lovecraft ne misait que très rarement sur les effets sanguinolents ou horrifiques faciles. Non, pour lui, la peur se niche dans une représentation très sombre et pessimiste de notre condition humaine et de notre monde : la plupart de ses personnages finissent fous à lier, nous ne sommes que des fourmis dans un univers qui échappe à notre perception trop limitée. L'inconnue et le doute ("l'indicible", pour citer l'auteur) soutenus par un époustouflant travail de description : voilà les bases de son univers.

D'où une certaine difficulté à adapter ses histoires vers d'autres médias. Beaucoup de réalisateurs s'en mordent encore les doigts. Très peu de films ont réussi à transposer à sur grand écran les écrits de Lovecraft : on peut citer par exemple L'Antre de la folie de John Carpenter, ou bien encore The Call of Cthulhu, modeste production muette en noir et blanc. Il faut par ailleurs découvrir de toute urgence le remarquable travail sonore réalisé sur litteratureaudio.com qui met à disposition plusieurs livres audio du maître dans un excellent exercice de (re)lecture (disponible ici).

L'argentin Horacio Lalia s'est donc lancé dans un sacré défi : mettre en images des écrits reposant essentiellement sur la description en prenant le risque de diminuer l'impact des récits originels. Le parti pris du noir et blanc est alors plus que judicieux : non seulement le style d'Horacio Lalia est remarquable, mais le choix du noir et blanc laisse au final de la place à l'imagination et la reflexion du lecteur. Lalia se pose alors plus comme un guide pour explorer l’œuvre de Lovecraft, que comme l'héritier d'une représentation définitive de toute façon vouée à l'échec.

Le dessin est bien le gros point fort de cet album même si Horatio Lalia n'évite pas par moment l'écueil du commentaire d'image. Un problème incontournable dans la mesure où Lovecraft utilisait peu les dialogues. Les passages les plus réussis sont ceux où les textes se font les plus discrets, où l'esprit de Lovecraft et le style de Lalia se marient à merveille.

Si on pourra regretter le choix de certaines nouvelles (mais pourquoi ne pas avoir adapté Le Cauchemar d'Innsmouth qui s'y prêtait pourtant  si bien ?), ce magnifique album est une belle initiation pour les néophytes et une lecture indispensable pour les amateurs du "Maître de Providence".

Stéphane Le Troëdec

Horacio Lalia (scénarios et dessins)

Les Cauchemars de Lovecraft : L'Appel de Cthulhu et autres récits de terreur

Édité en France par Glénat (13 novembre 2014)

248 pages

30,00 euros

ISBN : 9782344001080