La chronique de Gerald Messadié

Dr. Shakespeare, psychiatre


Chronique. Humeur et mauvaises humeurs de Gerald Messadié |  

Romanciers d’aujourd’hui, prenez garde : on vous étudiera peut-être demain pour établir si c’était vous ou vos personnages qui souffriez de paranoïa, de schizophrénie ou de bipolarité.

 

Jean Charcot, père de la neurologie moderne, avait beaucoup lu Shakespeare, et Sigmund Freud, son élève, l’étudia aussi. La célébration du 450e anniversaire de la naissance du Barde a réservé à celui-ci un honneur inattendu : une étude sur la justesse clinique de ses observations, résumée dans l’hebdomadaire scientifique anglais New Scientist du 19 avril dernier.

 

Son personnage le plus connu est sans aucun doute Hamlet. Ce garçon, âgé de trente ans, pense que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue : « Je n’en donne pas une épingle ». Dépressif et impulsif, coupable d’avoir tué par accident le père de sa bien-aimée, il oscille entre la fierté et le désespoir, tout comme il passe à l’égard d’Ophélie de la tendresse à la cruauté : « Entre donc au couvent ! Pourquoi voudrais-tu engendrer des pécheurs ? » Or, c’est le portrait exact d’un bipolaire, victime d’un déséquilibre de l’humeur qui n’a été défini cliniquement que ces dernières décennies.

 

Prenez le roi Lear : à son âge avancé, 80 ans, exceptionnel pour l’époque, il est sujet à des crises d’agitation où son discours s’accélère soudain, signe de la maladie de Parkinson. Parfois il ne reconnaît pas sa propre fille, « Je crois que tu es un fantôme », parfois il se croit lui-même mort, « Vous avez tort de m’avoir sorti du tombeau, » déclare-t-il  : il souffre du syndrome de Cotard, forme de démence parfois associée à la maladie de Parkinson et qui, elle aussi, n’a été identifiée qu’à l’ère moderne ; incidemment, elle explique certaines visions dont les victimes croient avoir abandonné leurs corps.

 

Et Macbeth : il souffre d’hallucinations, comme celle d’un poignard qui flotte devant lui, il entend des voix qui lui annoncent qu’il ne dormira plus, il souffre, en effet d’insomnie et il est sujet à des mouvements involontaires… Il est probablement atteint de la maladie de Creutzfeld-Jacob : il aura été infecté par des prions pour avoir mangé de la nourriture malpropre.

 

Shakespeare avait finement observé certains malades autour de lui et transcrit exactement leurs pathologies dans ses  personnages. Cela n’enlève évidemment rien à son génie, bien au contraire, mais cela explique la fascination qu’ils exercent sur le spectateur, même si celui-ci ignore les caractéristiques du Parkinson ou du syndrome de Cotard.

 

La tentation est grande d’étendre le diagnostic psychiatrique à certains personnages célèbres de la littérature. Prenez le Bardamu du Voyage au bout de la nuit : à l’évidence, c’est un paranoïaque. Si l’on relit L’Éducation sentimentale, force est de se dire que Flaubert aussi fut un bon observateur de la patrologie psychiatrique ; se souvient-on de la scènes où Jules rencontre un chien errant et misérable, qui lui inspire la terreur, puis la haine ? Il lui décoche un coup de pied violent et lui crie : « Meurs ! Meurs ! Va t’en ! Laisse-moi ! » La misérable bête le suit pourtant, tout en boitant. « Jules arrachait avec ses ongles des pierres, de l’herbe, tout ce qu’il trouvait, et les lui lançait jusqu’à ce qu’il l’eut chassé bien loin. […] Mais non ! La bête semblait sortir de terre, y disparaître, en ressortir ; tout à coup elle se plaçait devant vous, vous regardant, en écartant les lèvres et montrant ses gencives avec une grimace hideuse…»  Ce n’est pas une mauvaise bête, pourtant : quand Jules et rentré chez lui et qu’il a tiré le verrou, elle se couche devant sa porte. C’est Jules qui est malade. C’est un psychotique.

 

Un long coup d’œil à la production littéraire contemporaine réserverait quelques surprises. Les psychoses sexuelles obsessionnelles y surabondent et nous en font même voir de toutes les couleurs, surtout quand elles entendent détailler les nuances du gris…

 

Gerald Messadié 

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