« On ne lit plus ! » À qui la faute ? Une proposition pour pallier la disparition accélérée des librairies
Pourquoi les librairies ferment-elles ? Pour deux raisons : la première est que le marché du livre s’anémie, la seconde, à cause de loyers trop élevés. Or, les loyers ne cessent d’augmenter et, à ce train-là, les librairies figureront bientôt parmi les commerces du passé, comme les fumistes et les marchands de couleurs. À Paris, dans le 8e arrondissement, quartier des Champs Élysées, il existait il y a quelque vingt ans, à dix minutes à pied de mon domicile, quatre librairies bien achalandées où l’on trouvait les succès du jour et les livres phares du passé ; il n’en reste plus qu’une, à l’Étoile, de fort modeste surface. Telle est la situation dans le quartier de La Plus Belle Avenue du Monde, vitrine de ce que la France fait de mieux (des fringues ?).
D’ailleurs, argueront certains, le livre électronique est à votre portée (sous-entendu : le livre papier, c’est pour les vieux ; ils n’ont, pour satisfaire leur nostalgie, qu’à aller chez les bouquinistes des quais). Ce sont les mêmes augures qui annoncent en riant que l’Académie française sera bientôt fermée, parce qu’elle coûte trop cher et ne sert à rien.
Ce genre d’arguments évoque irrésistiblement celui de certains esprits branchés qui, voilà trente ans, annonçaient que nous entrions dans l’ère post-industrielle et qu’il fallait délocaliser les industries, trop polluantes, parce que nous entrions dans l’Ère des services. Pendant ce temps, l’Allemagne, elle, s’industrialisait à tour de bras. On voit le résultat aujourd’hui.
Le livre électronique ne représente qu’une forme de diffusion des textes ; il ne peut remplacer le livre papier, objet dont l’habitude s’ancre bien avant l’invention de l’imprimerie, comme en témoigne le vers de Virgile évoquant les livres qu’on emportait avec soi à la campagne : …et nobiscum rusticantur (et ils se font campagnards avec nous).
Il existe une solution qui peut tenter une catégorie nouvelle de citoyens, les auto-entrepreneurs : c’est la librairie ambulante. Une camionnette aux parois mobiles qui irait proposer aux citadins comme aux villageois quelques centaines de titres susceptibles d’intéresser le public : des bandes dessinées pour les jeunes, des romans, des polars, des études historiques, des manuels pour les autres. Une longue fréquentation des foires du livre dans des villes de province – nous en avons fait quelques dizaines – nous a révélé qu’une part de visiteurs, que nous n’aurons pas la prétention d’évaluer, s’y rendait pour découvrir ce qu’était le livre, objet négligé depuis la fin des études. La lecture n’était pas dans leurs habitudes et la quatrième de couv’ ne satisfaisait pas toujours leur curiosité : après nous avoir demandé : « De quoi ça parle ? », ils exploraient les premières pages pour savoir si cela valait vraiment la peine de dépenser la somme demandée pour l’achat. Ce public existe et ce n’est certes pas la raréfaction des librairies qui contribuera à l’attirer à la lecture.
Ce fut alors que je vérifiai un fait souvent négligé et toujours réel : l’effet du contact physique avec cet objet de prestige qu’est le livre, effet souvent méconnu des élites urbaines et des branchés de l’Internet.
Le véhicule dépendra de l’ingéniosité de chacun ; l’aménagement n’en demande ni des fortunes ni des prodiges techniques. Il suffit de présenter aux regards ces objets que le prestige de la culture rend parfois intimidants, voire rebutants. Il me plaît d’imaginer que de grands éditeurs enverraient dans nos régions des bus savamment équipés, avec des sonos séductrices, mais il me plaît tout autant de me représenter un libraire ambulant dans sa petite camionnette, ravi d’avoir initié des lecteurs de Rives-les-Essarts ou Saint-Fulbert-des-Rabicoings aux charmes de Gabriel Garcia Marquez, de Jorge-Luis Borges ou de Milan Kundera. Ce véhicule prolongerait l’ancienne tradition des colporteurs, qui vendaient loin des villes, de porte en porte, des almanachs ou des romans (que les bons esprits d’antan tenaient pour des objets polissons, incitant les demoiselles à trop rêver). Il prolongerait également le rayonnement des salons littéraires annuels qu’organisent des dizaines de petites villes de province.
Serait-ce rentable ? Il n’existe aucune étude de marché sur la question. Mais il faut d’abord observer que le commerce itinérant, comme les camions-restaurants, s’impose dans la nouvelle économie et découvre de nouveaux secteurs ; ensuite, que la mise de fonds serait de loin inférieure au loyer annuel d’une librairie de centre ville dans les grandes agglomérations urbaines.
On peut estimer à 40 millions le nombre de Français que la lecture peut intéresser ; si la moitié d’entre eux, notamment ceux qui vivent en dehors des grandes villes, isolés du buzz médiatique, achetaient chacun ne fût-ce qu’un livre par mois, on peut juger de l’effet roboratif que cela aurait sur l’industrie du livre.
Gerald Messadié
3 commentaires
Le remède : faire venir des jeunes auteurs en dédicace,organiser des cafés littéraires,il n'y a pas que les grand noms connus qui font défiler les files d'attentes,mais aussi de nouveau auteurs qui percent!!A bon entendeur !
Par ici (Haute-Provence) nous avons le bibliobus qui passe dans les villages. Bien achalandés, ils permettent la lecture et facilitent le "vivre ensemble".