"Trois hommes, deux chiens et une langouste" : une fable noire et burlesque de Iain Levison

Fuite en avant de trois amis trentenaires embarqués dans la petite délinquance, ce roman retrace une poignée de semaines au cours desquelles les déconvenues vont se succéder dans une orgie de coups montés plus casse-gueule les uns que les autres.

Si l’amertume est tenace au cœur de leur petite ville minière à l’horizon limité, la réserve d’idées foireuses et le potentiel de naïveté des protagonistes sont sans fin, donnant à cette aventure désastreuse sur fond de crise économique une dimension paradoxalement enjouée.

« Quand il attaqueraient le fourgon blindé il n’y aurait pas de connerie de complets. Et ils avaient appris à envisager la possibilité de système satellite, ou mieux, à prévoir l’imprévu. »

Kevin est en liberté conditionnelle suite à un court séjour en prison pour avoir cultivé du cannabis. Son couple bat de l’aile. Sa femme le considère comme un adolescent attardé, ce qu’il n’est pas loin d’être. Il finit par trouver un boulot consistant à promener les chiens de propriétaires friqués. Ses deux meilleurs amis sont aussi paumés que lui. Mitch travaille au rayon auto d’un supermarché, où il va réussir à se faire virer suite à une blague qui lui échappe, tandis que Doug fait griller des steaks dans le fast-food du coin. Les jours s’écoulent, mornes, aux environs de Pittsburg, rythmés par quelques séances de défonce devant la télé, jusqu’au jour où les occasions de sortir du marasme vont se bousculer et entrainer les trois hommes dans des aventures aussi tragiques que loufoques.

Il faut dire que si la malchance s’acharne sur la fine équipe, les trois acolytes entretiennent un certain génie pour se prendre les pieds dans leurs propres pièges. Pas vraiment par désinvolture ; ces antihéros sont de parfaits inquiets, des angoissés, tout à fait conscients de la loi et de la morale, ce qui à un certain niveau de marginalisation peut devenir tout à fait handicapant. A la fois exaspérant de par leur faculté à cumuler les mauvais choix dès lors qu’ils parviennent à s’extraire de leur état végétatif, les personnages de Levison ne sont pas non plus des débiles finis, et leurs doutes, leurs culpabilités et leurs attentes les rendent plutôt attachants, d’autant que malgré tout, et parfois malgré eux, ils ne sont pas dénués d’auto-dérision.

Du simple emprunt d’une télé au vol d’une Ferrari, en passant par un trafic de cachets et l’attaque d’un fourgon blindé, chaque tentative pour sortir la tête de la grisaille se transforme en farce sinistre, à l’image de cette ville à l’agonie, au contexte social plombé, incarnant à elle seule l’effondrement du rêve américain. On se prend à vouloir que ça marche, ne serait-ce qu’une fois – les plans ne sont pas si stupides en soi – mais le moindre mouvement pour se dégager finit par s’inscrire dans la même logique infernale où l’ailleurs a toujours un goût de pire.

Seul Doug semble encore croire à une échappatoire dans les couloirs de la légalité, mais ses rêves de chirurgie ou de pilotage d’hélicoptère se fracassent régulièrement devant le pas de la porte. De la même façon, ses velléités d’écrire un livre pour enfant – narrant les aventures d’une langouste s’échappant d’un restaurant – se heurtent à l’impossibilité d’envisager la vie autrement que comme une épreuve absurde et insurmontable.

« Mais au fur et à mesure que l’histoire avançait, la langouste s’était transformée notablement, la joyeuse évadée pour le soleil du Maine était devenue une vagabonde sombre et violente. Au mieux elle errait sans but, et au pire elle était obsédée par sa vengeance, et malgré les exhortations d’Annalisa pour que l’histoire reste légère, Doug mettait constamment la langouste dans le pétrin. »

On pensera inévitablement aux films des frères Cohen en lisant ce roman aux accents de road-movie déjanté, et au cinéma en général puisque les nombreux dialogues et rebondissements semblent taillés pour ; les références sont assumées et l’ensemble fonctionne, linéaire, simple mais efficace.

Critique acerbe d’un système en bout de course, l’auteur ne mise par sur la chronique sociale pour autant et évite heureusement les digressions façon tract politique ; ces précaires en roue libre, dont Levison a fait partie, bénéficient d’un regard à la fois complice et amusé au service d’une fable noire et burlesque admirablement conçue.

Arnault Destal

Iain Levison, Trois hommes, deux chiens et une langouste, Liana Lévi, "Piccolo", janvier 2011, 266 pages, 10 euros
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