Skyfall, 007 a 50 ans

Je suis content d’avoir un point commun avec Daniel Craig et Sam Mendès : Vivre et laisser mourir. Ce fut pour eux comme pour moi le premier Bond vu au cinéma. Roger Moore reprenait le matricule 007 et Paul Mc Cartney s’occupait de la musique du générique, restée dans toutes les mémoires. Déjà, à l’époque, on parlait d’un « nouveau Bond », moins dur que les précédents, plus proche de Brett Sinclair que de L’Espion qui venait du froid. Là s’arrête la comparaison entre eux et moi !

Quarante ans après, Craig se retrouve pour la troisième fois dans le smoking de Mr Bond et Sam Mendès prend les manettes de cet opus qui coïncide avec le 50e anniversaire de la franchise cinématographique de James Bond. La plus célèbre, la plus rentable, la plus éternelle.

« Nous avons failli manquer l’anniversaire car Skyfall a failli ne jamais voir le jour en raison des problèmes financiers de la MGM. », confie le producteur Michael G. Wilson.

Il est vrai qu’en un demi-siècle l’histoire de Bond est incroyablement foisonnante : un succès immédiat pour Dr No, premier de la série, qui ne fit que grandir par la suite. Moult et moult péripéties en tous genres, pas seulement sur l’écran mais aussi en coulisses (des projets annulés, des acteurs qui changent, des tournages complexes, etc.)

« Nous n’avons jamais perdu l’espoir, rappelle Wilson. Une fois que le public a accepté le personnage nous avons compris qu’il allait durer longtemps mais nous avons quand même connu des moments difficiles. Et nous avons affronté deux faillites de la MGM ! Mais à aucun moment nous ne nous sommes dits qu’il n’y aurait plus de Bond ! »

Le revoici donc, fidèle au poste en dépit des copies, des plagiats, des parodies qui n’ont cessé d’émailler son chemin. 

« James Bond a créé un nouveau genre de film d’aventures, souligne la productrice Barbara Brocoli. Ian Fleming, Harry Saltzman et Albert Brocoli, mon père, ont vraiment fait preuve d’innovation. Ils se sont rapidement rendu compte qu’ils tenaient quelque chose d’original. Le challenge a toujours été de garder l’esprit de James Bond. Il y a eu beaucoup d’imitations mais personne n’a réussi à retrouver l’essence de Bond. C’est un mélange d’action et d’aventure, bien sûr, mais aussi un choix des réalisateurs, des scénaristes, des cascadeurs, des acteurs. C’est un travail de collaboration. Les scénaristes écrivent une histoire intéressante, Daniel Craig s’implique dans le développement du personnage, le réalisateur s’implique à son tour et, à sa suite, toute l’équipe technique. Chacun apporte une pierre à l’édifice. Le résultat est donc un travail d’équipe mais la vision finale reste celle du réalisateur. »

La franchise a beau avoir fait ses preuves, chaque film reste un pari osé… et complexe !

« C’est très compliqué à monter, affirme Wilson. Le plus difficile c’est d’avoir un bon scénario et ça nous prend plusieurs années. Ensuite nous travaillons sur le vilain, puis sur la romance et ce n’est qu’en tout dernier lieu que nous nous occupons de l’action et des gadgets. Ca, c’est la décoration sur le sapin de Noël ! »

Si à une époque (celle du pitoyable Dangereusement vôtre), le film pouvait être lancé en l’absence de scénario définitif, il n’en est plus de même aujourd’hui. Sans canevas solide point de film.

 « Ce qui compte en premier lieu c’est l’histoire, répète Sam Mendès. Vous pouvez avoir des lieux magnifiques des femmes superbes, tout cela ne sert à rien si vous ne disposez pas d’une histoire solide. Moi, je voulais amener Bond là où il n’a jamais été auparavant, jusqu’au point le plus extrême. J’ai mis la barre très haut : je voulais le tuer et le faire renaitre dans un monde différent. Je voulais aussi poser la question de l’utilité des services secrets, de la présence du cyber-terrorisme, de nos peurs actuelles. Je voulais justifier à la fois l’existence de Bond mais aussi celle de tous les films de James Bond ! »

Nouveau Bond, donc. Pas seulement parce qu’il est incarné par Craig, qui a bousculé le suave agent secret brillamment joué par Pierce Brosnan, mais parce que, autant derrière que devant la caméra, chacun veut changer la donne, à commencer par Sam Mendès.

« Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un film d’action qu’il n’y a pas de scénario, dit-il. Nous sommes revenus à Fleming qui présente un Bond très complexe. Dans les livres, Bond mène un combat en permanence. C’est un personnage torturé qui ne sait pas très bien qui il est. Il est quand même un assassin professionnel et cela fait naitre en lui des conflits intérieurs. Il est à la fois dans l’ombre et dans la lumière. C’est ce que nous avons tenté de montrer sans trahir la personnalité de James Bond. »

Gros travail de scénario, donc, pour surprendre tout en restant fidèle à l’agent secret que des dizaines de millions de gens ont vu… et apprécié ! 007 est une légende qu’il faut secouer mais non agiter.
Au final, dans Skyfall il y a deux Bond pour le prix d’un. D’abord celui chargé de récupérer un disque dur contenant les noms de tous les agents de l’OTAN infiltrés dans les organisations terroristes. Un disque volé par le peu commode Silva. Un homme finalement très proche de 007 (« Je suis la face sombre de James Bond mais il ne faut pas le dire pour ne pas gâcher le plaisir des spectateurs », admet Javier Bardem) 

L’autre Bond c’est celui en proie à des conflits intérieurs. Après une pause forcée, durant laquelle il cherche la solution à ses problèmes dans le fond de bouteilles d’alcool, il se retrouve confronté à un nouveau monde.

« J’avais envie que Bond disparaisse pendant un certain temps et, quand il revient, tout a changé autour de lui, poursuit Mendès : le MI6 est en pleine mutation, Q est plus jeune, même M n’est plus celle qui donne les ordres. Bond lui-même est accusé d’être trop vieux ! Rien n’est comme avant, c’est comme si le monde que Bond a connu avait disparu. Pour lui c’est une renaissance. »
Daniel Craig a accepté ces revirements avec plaisir. C’est en tout cas ce qu’il affirme et vu sa décontraction lors de l’interview, j’aurais tendance à le croire (il était moins rigolard pour les films précédents !)



« Oui c’est un nouveau Bond, en tout cas c’est un nouveau début pour lui, dit-il. Il y a vraiment dans ce film un sentiment de nouveau départ. Nous avons voulu aller aussi loin que possible. Sam a réussi le pari d’amener un film d’aventure vers de nouveaux horizons. Je me suis efforcé de m’impliquer au maximum. Je l’ai toujours fait mais là me suis passionné pour ce film. En général, je ne suis pas du style à rester muet, on ne me fait pas taire facilement, mais cette fois j’étais en accord total avec Sam qui  m’a poussé à aller encore plus loin… Bien sûr j’aborde le personnage de Bond un peu différemment que mes autres rôles mais, au fond, les défis sont les mêmes que pour n’importe quelle autre production : il faut s’efforcer de faire le meilleur film possible. La grande différence avec 007 c’est qu’il y a des règles à respecter. »

Des règles et des hommages. Anniversaire oblige, Skyfall contient pas mal de clins d’œil aux précédents Bond. Outre la présence de la légendaire Aston Martin, on peut y voir une remise en forme physique inspirée par Opération Tonnerre, des décors asiatiques repris de L’Homme au pistolet d’or, Istanbul déjà présent dans Bons baisers de Russie, une image de Bond vue de dos près de sa voiture quasi-copie de celle de Goldfinger, des lézards géants lointains cousins de celui de Permis de tuer, plus des clins d’œil de ci de là.

« Sam et moi sommes de vrais fans de James Bond, confie Daniel Craig, et nous voulions retrouver l’esprit des premiers films ainsi que celui des livres mais de façon subtile. »

Voilà pour la forme. Pour le fond, Bond ne se contente plus d’agir, de sourire et de séduire, il s’interroge, doute même. 

« C’est le Bond du XXIe siècle, explique Barbara Brocoli. Un homme avec ses fêlures et avec beaucoup d’humanité. L’élément humain, le conflit intérieur appartiennent aux livres. C’est comme ça qu’il nous touche.»

Nouveau Bond = nouveau méchant. Contrairement à ses prédécesseurs, celui-ci n’a pas envie de dominer le monde ni même de l’anéantir. Il mène une vengeance personnelle. Non contre 007 mais contre M qui – un peu comme dans Le Monde ne suffit pas – se retrouve au cœur de l’intrigue. Et Javier Bardem incarne ce méchant new look.

« Pour moi, dit-il, le premier challenge était de me voir dans le miroir et de croire à ce personnage. Le deuxième challenge était d’être compris en anglais ! Le troisième était de rester détendu dans des situations tendues. Sam Mendès m’a donné une indication précieuse pour construire la personnalité de mon personnage : "Quand tu es à l’image, tu dois mettre les autres mal à l’aise" ! »
Au cœur de la confrontation Bond-Silva, une scène qui va faire couler beaucoup d’encre : celle ou le méchant fait assez ouvertement des avances à l’agent secret !

« Franchement, affirme Craig, je n’ai jamais envisagé le personnage joué par Javier comme un gay. Pour moi, cette scène est un jeu de pouvoir. L’autre essaie de dominer Bond et utilise ce biais. C’est comme une partie de poker. La sexualité est très présente dans les films de Bond parce qu’elle est liée au pouvoir et au danger, qui sont deux caractéristiques de James Bond. Mais, finalement, qu’il soit homo ou hétéro, peu importe ! »

Rappelons que l’homosexualité était déjà présente, en filigrane, avec Pussy Galore et ses joyeuses lesbiennes (Goldfinger) et avec les deux tueurs des Diamants sont éternels.

Après un bon lot de péripéties, pas mal de cascades et quelques explosions, le film se termine sur la lande écossaise où il prend une autre tournure, nettement plus proche du western avec le fortin défendu par un héros, une femme, un vieil homme face aux Indiens qui déferlent en masse.

« J’assume complètement le côté western, déclare Sam Mendès. Nous en avons parlé et nous avons pensé au Train sifflera trois fois avec des personnes isolées dans un espace vide. Dans un sens, Skyfall retourne aux valeurs traditionnelles et le western en fait partie. Dans un western, vous n’avez pas besoin d’explications inutiles, tout est clair car il charrie des valeurs simples. C’est ce que je voulais pour ce film : un retour aux valeurs simples. »

Skyfall n’a pas fini de surprendre voire de dérouter. Il est à la fois proche des précédents puisqu’on y retrouve l’action, la musique, l’inévitable casino mais très loin car après Istanbul et Macao l’intrigue se recentre sur Londres. Qui aurait imaginé que James Bond se lance un jour dans une course-poursuite dans le métro londonien ? Bien sûr, Pierce Brosnan avait déjà montré un Bond troublé (se souvenir de certaines scènes emplies de mélancolie) mais Skyfall va plus loin, quitte à dérouter. 

L’ultime fin est plaisamment ouverte avec un magnifique coup de chapeau à toute la saga. Et le générique nous assure que James Bond reviendra !

« L’idéal serait de faire un film tous les deux ou trois ans, admet Michael G. Wilson. Mais nous n’avons encore aucune date fixe pour le prochain. »

La saga a-t-elle terminé sa boucle, ce qui impliquerait, peu ou prou de faire des remakes des vingt-deux films précédents ? Ou la porte est-elle ouverte vers un Bond du troisième type ? L’avenir le dira…

Pour terminer, je voudrais apporter une petite précision pour les non spécialistes de 007. Plus exactement c’est Roger Moore qui l’apporte dans son récent livre sur James Bond (Ed Gründ). Elle concerne les parents de l’agent secret, évoqués dans Skyfall. Ils sont cités dans On ne vit que deux fois, le livre : « On y apprend, écrit Moore, que le commandeur James Bond, (…) est le fils d’Andrew Bond, de Glencoe (Ecosse) et de Monique Delacroix, du canton de Vaud (Suisse). Andrew Bond étant le représentant du manufacturier d’armes Vicks, Jim suivait ses parents partout où le métier de son père l’appelait. Hélas pour lui, il perdit son père et sa mère quand il avait onze ans, lors d’un accident d’escalade dans le massif des Aiguilles Rouges. »
 
Philippe Durant

SKYFALL
Film de Sam Mendès
Avec Daniel Craig, Javier Bardem, Judi Dench
2h23
Sortie le 26 octobre 2012


1 commentaire

La richesse des bonds est parfois plus dans le mythe lui même que dans les longs metrages.