Jean Genet, régler les comptes

Le mal comme le bien font partie de la nature humaine et s’expriment à travers les hommes ou les sociétés. Ces mots sont de Jean Genet (entretien avec Bertrand Poirot-Delpech, 1982).
Comment dire plus sobrement ce fait universel, cette alliance des extrêmes qui est notre condition de condamné-libre ? 

Inextricablement liés aussi dans le portrait exécuté par Giacometti, ce savant entremêlement de lignes, de contrastes bruns, blancs, gris. La tête apparaît petite par rapport au corps qui vient au-devant de celui qui observe cette armature d’être. Les poses de l’écrivain dans l’atelier de l’artiste avaient été nombreuses. Une amitié les relia tous les deux. Genet admirait Giacometti.

Dans son ouvrage, Genet écrit : Mais à Giacometti aussi peut-être fallait-il cette inhumaine condition qui nous est imposée, pour que sa nostalgie en devienne si grande qu’elle lui donnerait la force de réussir dans sa recherche. Quoi qu’il en soit, toute son œuvre me paraît être cette recherche que j’ai dite, portant non seulement sur l’homme mais aussi sur n’importe lequel, sur le plus banal des objets.

Et quand il a réussi à défaire l’objet ou l’être choisi de ses faux-semblants utilitaires, l’image qu’il nous en donne est magnifique. Texte miroir de deux solitudes. Pas de faux-semblants non plus avec Rembrandt, dont il loue la délicatesse des dessins. Genet, critique d’art, épingle sans égards les goûts de luxe du peintre hollandais de l’intériorité.

Paris, 19 décembre 1910. Date de sa naissance. « Pupille de l'assistance publique, il me fut impossible de connaître autre chose de mon état civil. Quand j’eus vingt et un ans, j’obtins un acte de naissance. Ma mère s’appelait Gabrielle Genet. Mon père reste inconnu ». Jean Genet le dit avec les mots secs d’un constat d’huissier. Ils cachent assurément la souffrance. Le poids de cette absence d’un regard tendre au moment de naître devait être lourd à porter pour le reste de l’existence. Un poids dont la charge n’est pas évaluable. Une enfance donc qui n’en est pas une, dans l’inconnu et l’absence de toute affection. Sans absoudre, elle justifie une indulgente compréhension.
La suite est le chemin connu de certains autres de ces écorchés à vif comme lui, les vols, la délinquance, les lieux dits de redressement, l’armée, la désertion, les voyages et le vagabondage au hasard des lieux, les bas-fonds à travers l’Europe, la prison, la transgression pour religion, les années cabossées comme ce visage d’où pourtant émane des rayons de douceur. Il y a tout et son contraire chez Genet, comme deux versants d’une montagne qui luttent, celui des ténèbres faisant plier lentement celui de la clarté, jusqu’au déséquilibre et l’anéantissement de l’un par l’autre.

 

L’écriture va sauver les démons qui s’agitent dans un cœur sans le savoir désireux d’amour. Genet a rétabli dans sa royauté l’imaginaire et fait entendre jusqu’à l’insolence un langage vivace et rond, qui prend son bien où il le trouve : dans le fumier comme sur les hauts lieux du lyrisme mystique. L’œuvre de Jean Genet est considérable. « Genet construit des représentations. Il opère à l’intérieur des mots et des images » note Olivier Neveux. Il aura écrit pour sortir de prison, comme il le disait. De sa prison. Sortir de l’enfermement de soi et d’une société qu’il considérait l’avoir enfermé, lui et tous les « pauvres » nés de cette société.
Tout….l’homme-Genet…sera, à sa façon, militant avec la même ténacité, la même rigueur… écrit encore Olivier Neveux.
Pour régler les comptes. Romans, essais, pièces de théâtre surtout qui lui ont assuré cette notoriété de scandale, d’attaques et de défenses, de verdicts injustes et de plaidoyers motivés. Sa vie comme son œuvre ont été l’objet de toutes les analyses, de tous les commentaires, de films, d’articles. Spécialiste du théâtre, professeur, l’auteur porte dans ce petit livre dense son attention sur l’homme de théâtre, étudie comment et pourquoi Jean Genet s’est acharné à arpenter le territoire du négatif.

Une analyse qui met en lumière cette vaste et terrible part d’ombre que les pièces et les citations choisies reflètent dans sa radicalité.

 

Dominique Vergnon

Olivier Neveux, Jean Genet, éditions Ides et Calendes, 128 pages, 12x19 cm, septembre 2016, 10 euros.

 

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