Les message inspirés de Madge Gill

La souffrance comme source de l’acte créateur, la lumière éclairant le fond obscur de la détresse. Il est des visions qui s’approfondissent au contact de la douleur et des sensibilités qui s’accroissent sous le poids de la tristesse. Elles ne peuvent être que surprenantes, déroutantes, intenses, les œuvres d’une femme qui, touchée par l’adversité, est inspirée par ce qu’elle voit une fois gagnées les sphères de l’au-delà.
Frappée par les duretés du destin depuis une naissance sans reconnaissance jusqu’à la maladie qui l’emporte, avec entre ces bornes des étapes qui marquent, la vie cachée, l’orphelinat, l’exil, l’épreuve du décès de ses enfants, l’hospitalisation, l’alcoolisme, les soucis financiers, la vue qui s’ampute de moitié, la dépression qui enserre l’esprit.

Madge Gill a suivi le parcours le plus terrible, le cheminement entre les drames que viendra compenser une créativité hors de toutes les mesures. Lui restait en effet l’évasion vers de plus lointains rivages.

Curieusement, mais retour souvent mérité par certains artistes qui ne l’ont pas recherchée, elle rencontre maintenant la célébrité. D’autant plus justifiée pour Madge Gill qu’elle n’a rien fait pour obtenir une telle visibilité. Suivre ses voies intérieures, écouter ses voix intimes, semble bien être ce qui a orienté son existence et ses œuvres. Jusqu’à l’obsession.
Sur des centaines de feuilles, avec de l’étoffe, sur des cartons, à l’encre de Chine, des broderies, des encres de couleur, elle consigne les délires qui renvoient comme autant de miroirs les peurs et les secrets. Les mystères enfouis prennent corps. L’inconscient qui dicte la main, les astres qui guident la pensée. Itinéraire incroyable, ou plutôt selon le mot à la mode mais qui dans son cas lui correspond bien, improbable quand on additionne les faits qui l’entourent.

 

Une trajectoire qui est en soi un message délivré répondant à un appel ressenti de plus loin que l’être. S’il sort des frontières habituelles, s’il obéit "à un système de représentation totalement personnel et autonome" ainsi que le note l’auteur, l’univers de Madge Gill s’inscrit historiquement et socialement dans un contexte propre, celui de "l’élégante société victorienne".
L’enfance en sera marquée et les engrenages de la vie lui donneront ces visages féminins, ces groupes de têtes étranges qui nous regardent, ces tons sombres dont les ombres doublent les effets dramatiques, ces "fantaisies architecturales", ces réseaux d’entrelacs.

On ne peut entrer  dans ce monde intérieur qu’avec respect, prudence, lenteur. Les dimensions qui s’y croisent sont plurielles et infinies, au même titre que celles de ces franges du visible derrière lesquelles agissent les forces invisibles.
"Ressenti comme un acte libérateur, le recours aux forces occultes a donc permis à la créatrice de laisser libre cours à son imagination", écrit dans son ouvrage Marie-Hélène Jeanneret, qui analyse et commente dans ces pages l’artiste et son œuvre, associant en un seul regard les deux versants de cette figure qui se vêt de noir, de cet oiseau blessé dont les ailes portent un lourd fardeau mais parviennent à en sublimer la charge.

 

Dominique Vergnon

Marie-Hélène Jeanneret, Madge Gill, 12x17 cm, 52 illustrations, éditions Ides et Calendes, octobre 2017, 120 pages, 24 € .          

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