John Millington Synge, les mots et l’enracinement

Incroyable Irlande, cette île qui projette l’Europe dans l’océan est une terre parmi les plus fécondes en grands écrivains, originaux et d’autant plus universels qu’ils parlent à chacun, de la vie et ses drames absurdes, du destin et les points d’interrogation qu’il pose à tous. Dans ce pays, la poésie est à l’égale du théâtre, l’humour permet la critique, les légendes transmises oralement ne vieillissent pas. Quatre Prix Nobel de littérature sont nés sur ce promontoire de verdure, d’émigration, d’indépendance. A côté de George Bernard Shaw, William Butler Yeats, Samuel Beckett et Seamus Heaney, les titulaires prestigieux, on pourrait citer aussi James Joyce, Oscar Wilde, Jonathan Swift, Elisabeth Bowen, et combien d’autres jamais assez lus en France et qui auraient mérité bien des prix.

Voici que s’impose aussi John Millington Synge (1871-1909), poète, prosateur, voyageur, homme de théâtre, mort jeune encore, étudiant pendant quatre ans au Trinity College de Dublin, et qui prend rang d’office parmi eux tous. Il faut savoir gré à Françoise Morvan, agrégée de lettres à 22 ans, traductrice de Shakespeare et de Tchekhov, de nous faire enfin connaître ou mieux connaître cet auteur « peu connu, peu étudié, mal traduit, mal compris » et qui peut ouvrir des horizons qui dépassent ceux des collines irlandaises et des villages des petits comtés. Synge invite ses lecteurs à parcourir en profondeur cette Irlande intérieure, à engager une aventure au-delà des paysages car elle devient alors une aventure humaine, en explorant des contrées oubliées comme le sont par exemple les îles d’Aran, où Synge, venu pour la première fois en 1898, effectua plusieurs séjours. Il faut lire ces textes écrits dans une langue puissante et savoureuse que sont notamment L’Ombre de la vallée et Cavaliers en mer, afin de percevoir ces tensions qui traversent les êtres. Il y a dans ce théâtre « un rythme, une scansion, une mélodie première » qui ne manque jamais de séduire et selon les mots d’une artiste d’origine irlandaise qui a joué des pièces de Synge, « nous emmène au bord du précipice, au seuil du monde visible, et les limites rationnelles disparaissent ».  

« En Irlande, pour quelques années encore, nous avons une imagination populaire ardente, superbe et tendre; ainsi, ceux d’entre nous qui désirent écrire ont-ils d’entrée de jeu une chance qui fait défaut aux écrivains des régions où la source de la vie locale a été oubliée, où la moisson n’est plus qu’un souvenir, où la paille a été changée en brique. » écrit Yeats, qui avait rencontré son compatriote en France.  

Dominique Vergnon

 

Françoise Morvan, Le théâtre de John Millington Synge, Ides et Calendes, mars 2019, 128 p.-, 10 €

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