Les angoisses peintes de Carlo Zinelli

Le burlesque, le mystique, le sexuel… mais encore l’anomalie, des mots qui portent, peu usités ainsi réunis quand il s’agit d’art. Mais ici, le propos est autre, il faut des mots qui tranchent, un scalpel pour faire voir les plaies.  
On entre dans un des champs du domaine restreint de l’art brut, considéré comme marginal par certains, d’une puissance esthétique rare par d’autres, libre et provocateur en tous cas, et lointain héritage de Dubuffet qui l’a conceptualisé autour de 1945. Hors des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode, pour reprendre les termes de Jean Dubuffet.

Avec Carlo Zinelli, on est bien dans une opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par l’auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. Mais ici interviennent d’autres causes, graves, profondes, qui vont rompre les équilibres physiques et psychiques de Zinelli, le placer à contresens de la société, jusqu’à l’internement. Quand on lit les étapes qui l’ont successivement mené à l’hôpital psychiatrique où il décède, en1974, à l’âge de 58 ans, on peut comprendre combien forts et enfouis sont les stigmates qui l’ont accompagné et l’ont inspiré.
Dernier enfant d’une fratrie de sept, décès de sa mère alors qu’il a deux ans, garçon de ferme, peu ou pas d’école, travail dans les abattoirs, l’armée et la guerre d’Espagne qui ne le blesse pas extérieurement mais l’atteint intérieurement, autant de chocs, qui, même sous forme de brefs passages dans son existence, ébranlent et broie une sensibilité sans doute plus perméable que d’autres.
Le diagnostic médical est sobre et clair : schizophrénie paranoïaque. Les réactions relèveront elles aussi d’une infernale spirale d’énergies destructrices.

Indiscipline, rébellion, désocialisation, le jeune homme est désabusé et déboussolé écrit Florence Millioud Henriques, journaliste et historienne de l’art, qui, analysant et la personne et son œuvre, reliant l’une à l’autre, pénétrant avec finesse et doigté mais sans laisser de zone d’ombres dans ce sombre tunnel mental, décèle les lumières possibles et les dérives évidentes. D’où ce style sobre, rapide, percutant. Elle signe un portrait émouvant de Carlo Zinelli, figure ignorée du grand public, artiste aux rythmes entêtés, aux séries compulsivement bâties, aux images récurrentes en aplats. Des milliers de feuilles, peintes recto verso, un graphisme comme on n’en voit pas ailleurs, les obsessions dévoilées d’un esprit étouffé, vidé, qui a procédé en bâtisseur halluciné.
Lui fallait-il peindre pour sortir de sa prison ?  
Cet ouvrage ouvre large la porte de la découverte d’un créateur enfermé dans son propre espace.

Dominique Vergnon

Florence Millioud Henriques, Carlo Zinelli, 40 illustrations, 165 x 235, éditions Ides et Calendes, octobre 2019, 120 p.-, 24 euros

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