Résonances hellènes en France

Art majeur pour les Thraces qui l’auraient inventée, égale en valeur à la poésie et à la danse, la musique dans la Grèce antique est si fondamentale qu’elle s’intègre naturellement aux mythes les plus insignes comme ceux d’Orphée et de Marsyas .
Littérature, théâtre et religion ne cessent de l’évoquer et de l’invoquer. Les gammes, les partitions et les notations sont déjà connues quelques siècles avant J.C. et diffusées partout, les enfants l’apprennent et Platon en parle parce qu’elle a une grande influence sur les passions.

C’est à travers les lieux, le temps et de multiples formes que s’exprime en Grèce cette passion pour les sonorités. Une passion inspire d’abord les chanteurs et les musiciens anonymes qui accompagnent avec entrain les mariages des habitants de l’île de Kythnos.
Qui rythme les danses villageoises, quand les femmes revêtent des costumes régionaux typiques. Qui stimule le joueur de zournas, sorte de  flute aigre très répandue dont la mélodie s’entend dans la campagne et soutient le joueur de tsambouna qui ressemble à une cornemuse égaillant les cafés. Qui se prolonge avec les voix profondes et graves des moines du Mont Athos psalmodiant les liturgies.
Passion à nouveau que Camille Saint-Saëns, dont les poèmes symphoniques sont appréciés par le public hellène, ressent sur l’Acropole en 1920 ce qui lui fera dire : je regrette Athènes comme Adam a regretté le paradis perdu. Deux célèbres artistes, Alfred Cortot au piano et Jacques Thibaud au violo, se produisent aussi à Athènes et une élégante photo fixent leurs deux visages.

 

Passion encore qui a soufflé aux voix de Maria Callas, Nana Mouskouri et Mélina Mercouri leurs airs les plus émouvants et les plus puissants. Passion enfin retrouvée dans les chansons et les compositions de Vassilis Tsitsanis, Georges Moustaki, Mikis Theodorakis, Iannis Xenakis, Giorgios Koumendakis.
Ces noms sont célèbres en France parce qu’ils sont associés à des noms prestigieux chez nous, qu’ils appartiennent au domaine musical ou non, ceux d’Édith Piaf, Georges Brassens, Michel Legrand, Olivier Messiaen, Marguerite Duras, Jean-Paul Sartre.

Mais, à côté des opérettes, du jazz et des concerts, prennent aussi place les musiciens militaires qui défilent à Salonique, les enregistrements réalisés par Pathé et soigneusement conservés, les musiques pour le cinéma dont la plus fameuse demeure celle de Zorba le Grec, les accompagnements de danses et les sons pour les théâtres d’ombres, issus d’une très ancienne tradition où se combinent musique, geste et parole, sorte de fabuleux opéra populaire qui séduisit lors de son voyage en Grèce en 1938 Marguerite Yourcenar et lui fit écrire un merveilleux texte : Il y a dans ce gueux subtil une étincelle du génie léger d’Athènes. Une toile, pareille aux écrans de cinéma, est tendue en plein air, un petit orchestre de flûtes, de guitares et de tambours exécute des airs populaires anciens et exquis… Nous avons l’impression d’assister à des rites vieux comme l’imagination humaine.

 


Dès 1970, lors des festivals d’Avignon, une place sera réservée aux musiciens grecs qui accompagnent Andromaque d’Euripide. Car les échanges entre les deux pays n’ont cessé de se croiser, de s’enrichir, et d’aiguillonner l’imagination des musiciens, des poètes, des scénographes. Illustré de photos pour beaucoup inédites, très documenté sur un domaine mal connu et pas assez apprécié, voilà autant de musiques qui puisant leurs sons dans les traditions les plus anciennes et allant par leurs résonances au-delà de ce qui seulement charme l’oreille, portent des messages de nouveauté, de liberté et de culture.  Elles dépassent de ce fait les seules frontières grecques.
Pendant deux siècles, elles ont non seulement enchanté mais bien davantage, participé à forger une autre vision des identités respectives entre les deux pays.

 

Le lecteur est entraîné dans un tourbillon vibrant de découvertes historiques et sociales, d’images souvent touchantes, toutes très esthétiques, dans un voyage qui lui fait rencontrer aussi bien Rousseau, Wagner, Offenbach, Angelopoulos que le grand éditeur Tériade et dans une symphonie à lire et à écouter.
Des pages qui sont comme des fenêtres lumineuses sur cette relation de passions mutuelles.  

Dominique Vergnon

Christophe Corbier, Le voyage des musiciens, deux siècles d’échanges franco-grecs, 120 illustrations, 240 x 280 mm, in fine Éditions d’art, juillet 2021, 240 p.-, 35 €

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