Renaissance artistique au bord du Tage

Au XV et XVIe siècles, au carrefour des mers, Lisbonne est aussi au croisement des arts. Double vocation que l’histoire n’a cessé de confirmer, depuis les Ibères, les Celtes et les Phéniciens. Point révélateur, le mot caravelle est d’origine portugaise et sous le règne de Manuel 1er, la ville grâce à ce vaisseau de haut rang considéré comme idéal pour l’outremer, est appelée reine des océans.
Comme un parallèle aux voyages des navigateurs, les artistes européens échangent leur savoir. Alvaro Pires, originaire d’Evora est actif en Italie entre 1411 et 1434 et travaille à Florence et Pise, alors que triomphe le gothique international. Jan Van Eyck de son côté, interrompant pense-t-on son célèbre tableau de L’Agneau mystique, se rend auprès du Jean 1er avec la mission mandatée par Philippe le Bon, duc de Bourgogne, pour exécuter le portrait de l’infante Isabelle. Les  influences stylistiques italiennes et flamandes se rencontrant en terre lusitanienne sont parfois difficiles à identifier, comme le prouve le portrait de L’Homme au verre de vin, (autour de 1460), qui fut même un temps attribué à Jean Fouquet.
Lors du dramatique tremblement de terre de 1755 qui incite Voltaire à écrire son Poème sur le désastre de Lisbonne, beaucoup d’œuvres et d’archives sur l’art portugais disparurent. Cependant, liées à la cour des souverains, celles qui restent sont raffinées, très expressives, riches en couleurs et en motifs décoratifs, unissant l’iconographie religieuse et les signes de la foi à l’expansion maritime et les marques de ses conquêtes lointaines. La marine est placée sous la protection de l’ange gardien du royaume, suite à la demande de Manuel 1er, ce qui fait que cet ange se retrouve un peu partout dans la peinture et jusque dans les enluminures et la sculpture.

Nuno Gonçalves est un des peintres les plus notables du pays. Francisco de Holanda, architecte, humaniste, voyageur érudit, théoricien de l’art, également peintre, le classe parmi les quelques artistes éminents d’alors qu’il appelle "les aigles de la peinture".
Nuno Gonçalves réalisa entre autres un magnifique polyptique, comptant près de soixante personnages aux traits réalistes, somptueusement vêtus de brocarts aux drapés étudiés avec minutie, L’Adoration de saint Vincent (huile et tempera sur 6 panneaux de chêne, de 1460-1470).
Mais d’autres noms s’imposent à l’époque, comme celui de Gregório Lopes, auteur d’une élégante Annonciation aux accents maniéristes, de Frei Carlos qui produit souvent de petits formats tel ce sobre Bon Pasteur, en pied sur un carrelage géométrique savamment agencé, ayant sans doute fait partie d’un retable ou d’un diptyque, du Maître de Lourinhã, peut-être originaire de Flandre, qui réalise une émouvante Translation du corps de saint Jacques où se distinguent un délicat et poétique paysage bleuté de tours et de montagnes et une nef ancrée dans la baie.
À mentionner encore Cristóvão de Figueiredo, peintre de la reine Eléonore et qui exerçait la fonction d’examinateur des peintres de Lisbonne. Il exécuta entre 1522 et 1525 une série de quatre petites huiles sur panneau de chêne centrée sur sainte Ursule et sainte Auta. L’ensemble frappe par son équilibre dans la narration, les positions centrales des saintes Ursule et Auta, du prince Conan et du pape Cyriaque, figures dominantes autour desquels les personnages forment comme un cortège d’honneur. La présence d’un groupe de jeunes musiciens Noirs avec leurs instruments à vent et d’un navire où flotte dans le gréement le drapeau portugais témoignent de cette alliance entre religion et spiritualité d’un côté et ouverture sur le monde extérieur et culture exotique de l’autre.

Cet ouvrage très illustré accompagne l’exposition-dossier résultant de la proche collaboration scientifique instaurée entre le Louvre et le Museu Nacional de Arte Antiga de Lisbonne. Une rare occasion d’admirer ce qui a été un véritable âge d’or de l’art au Portugal, mis en lumière par ces œuvres, toutes d’une grande qualité esthétique. Ainsi que le précise Charlotte Chastel-Rousseau, cette  période de la Renaissance est un moment particulièrement brillant, un moment de transfert artistique, d’échange et de globalisation d’une grande actualité

Dominique Vergnon

Charlotte Chastel-Rousseau, Joaquim Oliveira Caeteno, L’Age d’or de la Renaissance portugaise, 197 x 250 mm, 62 illustrations, In Fine éditions d’art, juin 2022, 128 p.-, 29€

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