Jules-Eugène Lenepveu, un peintre classique et rigoureux

Il a été célébré de son vivant, cumulant les honneurs et les titres, marquant de prestigieux monuments de son nom et son style. Un jour la postérité, changeante et ingrate, n’a plus reconnu ce passé illustre au point de masquer ses plus belles œuvres comme dans un souci manifeste de les effacer des mémoires.
Or la réalité est tenace, les vérités d’un moment le demeurent, cet important ouvrage accompagnant l’exposition qui s’est ouverte à Angers le prouve. De l’école des Beaux-arts de Paris à la direction de l’Académie de France à Rome, avec comme étapes obligées dans un tel parcours le Grand Prix de Rome, l’Institut, le professorat aux Beaux-Arts, Jules-Eugène Lenepveu apparaît au fil de ces pages comme un des éminents représentants du sens de l’esthétique et des engouements artistiques de la société qui régnaient à son époque, loin de ceux de la nôtre. Après l’oubli, il est à nouveau sur le devant de la scène. Retour légitime et mérité.
Ce catalogue offre l’occasion de voir que l’œuvre qu’il a laissée est tenue par sa cohérence et son charme, qu’elle donne une impression à la fois de rigueur et de douceur, qu’elle procure un sentiment de quiétude qui tempère le sérieux qui la traverse, et qu’en dépit de ses faiblesses visibles, elle apporte à la culture actuelle ce regard indispensable à avoir pour évaluer la place loin de là négligeable qu’il a tenue dans l’art du XIXe siècle.

La génération suivante en décida autrement. À l’instar de beaucoup d’artistes de son temps qui méritant hier des éloges unanimes ont été déclassés voire rejetés par la suite, Lenepveu fut trouvé démodé, jugé pompier, vu comme bourgeois, classé officiel, auteur de sujets religieux périmés.
Très soignée, riche de plus de 260 œuvres, ouvrant des perspectives neuves sur cet artiste prolifique, homme probe et sévère, exigeant autant envers lui-même qu’envers ses élèves, guidé par la conscience de son métier, éloigné de la vie mondaine, cette exposition invite à découvrir l’ensemble de sa carrière et d’en mesurer la valeur, rectifiant de ce fait la partialité de certains jugements.   
Comme Gustave Courbet, son contemporain, Lenepveu s’identifie donc au XIXe siècle. Auréolé pour ainsi dire de gloire, même si elle reste modeste ainsi que le rappelle Anne Esnault au début de l’ouvrage, Jules-Eugène Lenepveu est sa vie durant salué et apprécié par un cercle d’amateurs. De nombreux commanditaires, publics comme privés, tant à Paris qu’à Angers, font appel à lui pendant une quinzaine d’années. Ses fresques historiques sont comme un grand livre d’images…qui frappe au cœur (La Vie de Jeanne d’Arc, 1869, au Panthéon). Il travaille pour de nombreuses chapelles dans Paris, signe quantités de portraits de notables angevins et surtout exécute les décorations de salles de spectacle, entre autres le plafond de la plus grandiose d’entre elles, l’Opéra de Paris, œuvre de Charles Garnier.
Ce dernier, alors jeune architecte, lié d’amitié à Lenepveu depuis leurs années passées à la Villa Médicis, avait été retenu à la suite du concours voulu par Napoléon III en 1860. L’Opéra sera inauguré en 1875. Pour donner à cette immense coupole toute la splendeur requise, Lenepveu allia les allégories entre elles, mêlant les muses et les génies aux instruments de musique et emportant les quelques soixante personnages dans le vaste mouvement circulaire d’un ballet céleste et lumineux.
En 1964, suite à la décision d’André Malraux, le plafond de Chagall le remplace, sans toutefois le détruire puisque les panneaux sont superposés et démontables. Un jour peut-être l’œuvre originale sera-t-elle remise au jour ?  

Un des points qui caractérisent Lenepveu est la maîtrise de ses dessins, la précision de leurs lignes, leur finesse et leur justesse. Copiant avec assiduité les anciens maîtres tels que Giotto, Fra Angelico, Raphael, Luini ou Michel-Ange, pratiquant en outre l’étude d’après l’antique, formé par les exercices académiques, il produit des centaines de dessins, souvent très aboutis. Chacune de ses feuilles attire le regard par la fluidité et la netteté des traits, la rigueur des proportions, le rendu plastique des volumes, une minutie dans les drapés et les poses des modèles.
De même, ses portraits exécutés très souvent à la sanguine, séduisant par la rectitude de l’observation, sont tous empreints d’une certaine portée gravité envers la personne mais qui en voile l’aménité. Car s’il est effectivement le peintre du monumental et un muraliste affirmé, Lenepveu est aussi l’auteur de petits formats, notamment des aquarelles sur papier et des huiles délicates (Bord du lac de Terracine, Paysage de Bordighera) reprises dans ce livre. Etant à l’opposé de ses grands tableaux, ils mettent en avant un autre volet de ses talents. Beaucoup de ses dessins entreront dans la composition de ses toiles et de ses décors. A côté des feuilles d’études, les cartons lui serviront à évaluer leur équilibre et leur harmonie et à réaliser grandeur nature ses futures compositions.
La rétrospective consacrée à Lenepveu propose une ample vision de son legs artistique et du rôle majeur qu’il a joué à Angers, sa ville natale et des rapprochements intéressants avec ses contemporains. En suivant cet artiste au long de sa carrière, on peut voir que si la raideur et la banalité sont effectivement présents, il y a aussi comme une régularité et une force qui les habitent. Lenepveu a poursuivi la perfection de son œuvre jusqu’au dernier moment de la réalisation, comme le montre par exemple La Présentation au Temple, une peinture de l’église saint Sulpice (1862-1864). 
À son sujet, le peintre Fernand Cormon notait sa tranquille confiance dans la supériorité de son idéal artistique.

Dominique Vergnon                                                                                      

Anne Esnault (sous la direction), Jules-Eugène Lenepveu, 1819-1898, peintre du monumental, 240x280 mm, 420 illustrations, In fine éditions d’art, juin 2022, 328 p.-, 39€

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