Le mont Fuji selon Hokusai

Montagne habitée par les divinités et lieu sacré pour les adeptes du shintoïsme, volcan coiffé de blanc aux lignes parfaites, le mont Fuji serait apparu pour la première fois sur une estampe au XIe siècle. Il n’a cessé depuis lors de fasciner les poètes et les artistes.
Pour  Katsushika Hokusai (1760-1849), le cône enneigé auquel il porte un culte jamais désavoué fait non seulement partie de son répertoire mais plus encore, il en est comme le signe fondateur, la référence naturelle absolue dans presque toutes ses vues.
Pour composer ses paysages, il ne cesse d’observer la montagne, de voyager autour d’elle, de saisir ses nuances à toutes les saisons, lorsque les brumes et les nuages la parent de mystère ou en font un symbole de pureté. Il parcourt pour cela la célèbre route du Tōkaidō, c’est-à-dire littéralement route de la mer de l’est, long axe reliant les deux villes majeures d’alors, Tokyo et Kyoto. Au long de cet itinéraire de près de 500 km, circulent une population de marchands, de moines, de fonctionnaires, de familles et de seigneurs, les fameux daimyō. Les paysages se renouvellent, les auberges offrent des haltes bienvenues.

Hokusai multiplie ainsi les scènes, occasion pour lui d’innover et de rester en même temps dans l’héritage traditionnel. Ce qui rend assurément son œuvre si attirante vient de ce que, ainsi que le précise Adrien Bossard dans cet ouvrage accompagnant l’exposition Hokusai, voyage au pied du mont Fuji actuellement présentée au Musée départemental des arts asiatiques de Nice, l’artiste japonais a nourri son œuvre des acquis de la tradition et des apports de ses contemporains, tout en cherchant toujours à la perfectionner à travers l’intégration de nouveautés exogènes. Illustre représentant de l’ukiyo-e, maîtrisant depuis les années 1778-1779 au-delà de tout éloge les codes de ce vaste et puissant mouvement artistique qui triomphe à l’époque d’Edo, il donne au paysage un rôle inédit dans l’art nippon. Il en fait une manière d’acteur essentiel, et davantage qu’un décor, un élément participant pleinement à l’harmonie de l’ensemble. La nature devient l’objet d’un sentiment d’émerveillement renouvelé.

Dans cet espace sur lequel la durée ne semble pas avoir de prise, sublimé par la végétation, les lacs, les rivages, les cascades et les collines à l’horizon duquel se détache impassible et comme hors du temps le Fuji, son talent se double du fait qu’il fixe l’instant éphémère vécu par les gens et lui donne une densité particulière. Hommes et femmes vivent sous nos yeux, vaquent à leurs occupations, cheminent, se reposent et se restaurent. Le vent et la pluie se ressentent, les oiseaux volent, les bruits eux-mêmes se font sonores.
Présence tutélaire partout visible, lointain ou rapproché, stylisé ou détaillé, simple contour ou relief accusé, le mont Fuji, Fujisan comme on dit là-bas, Monsieur Fuji, veille, aimante regards et vénération, domine le monde.
Dans une superbe et complexe vue à vol d’oiseau datant de 1818, Hokusai n’hésite pas à mettre en valeur la montagne puissante et rendue presque frêle par sa forme idéale, reléguant en contrebas les environs. Cadrage audacieux comme le sont tant d’autres conçus de sa main, confondante de minutie, cette perspective ne manque pas de prouver combien le savoir du peintre est large et varié. Il emploie la nouvelle couleur qui s’impose désormais, un pigment de synthèse arrivé récemment au Japon, le bleu de Prusse. Celle-ci apporte à ces estampes profondeur, douceur et vigueur, offrant de plus la possibilité de marquer clairement les contrastes.
Ces pages riches en informations diverses, ouvrant le champ des connaissances en abordant notamment les liens entre Hokusai et les arts décoratifs français, soulignent à nouveau combien Hokusai est le seul dessinateur et le seul narrateur de ce que l’on pourrait définir comme un récit pictural dont le message n’est pas confié au mot mais à l’image, au trait écrit Manuela Moscatiello. Nous avons là, tournant autour du sommet qui est devenu le principal repère de son existence, la perfection inégalée, l’originalité et la virtuosité de celui qui se nommait le vieil homme fou de dessin.  

Dominique Vergnon  

Adrien Bossard (sous la direction de), Hokusai, voyage au pied du mont Fuji, collection Georges Leskowicz, 240x280 mm, 178 illustrations, In Fine éditons d’art, septembre 2022, 160 p.-, 29 €

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